Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu

Il n’y est pour rien, tout est question de circonstances. Des vacances comme chaque printemps un peu vides sur la côte d’azur où je tourne en rond, entre jeux en ligne et l’entretien du jardin et le fils qui dort tard tous les matins, moi je ne peux pas, moi je suis crevé et me réveille à 7 heures sans pouvoir me rendormir alors je me traîne hors de la chambre puis toute la journée, enchaînant cigarette sur cigarette, un café après l’autre. Je suis en vacances alors je ne travaille pas. Ça m’occuperait mais je ne travaille pas. Je réponds aux mails juste. J’essaye de réfléchir. Je pense à ce que je pourrais écrire et n’écris pas. Je lis quelques pages de Don Quichotte. Un vieux Lagarde et Michard sur la littérature du Moyen-Âge. Les fables d’Esope. Ça me rassure de lire des textes que des dizaines de générations ont lus avant moi. Le présent me dégoûte aussi. Le présent est une horreur.

Il n’y est pour rien. Il publie un statut qui apparaît sur mon mur facebook. Je vais sur le bandcamp, prend le casque et écoute. Je n’ai rien d’autre à faire. J’écoute. J’ai le temps. Et la magie opère, à nouveau. Des textes lents, longs, posés, Arnaud Michniak n’a personne à convaincre, rien à vendre, aucune certitude à imposer à qui que ce soit. Arnaud Michniak est un artiste précieux même si, et je l’ai déjà écrit, et c’est d’ailleurs l’un des rares billets de ce blog qui ait été commenté, souvent je n’ai pas su ou voulu ou pu le suivre.

Quelques mots suffisent. Quelques notes. Des silences.

« des douleurs dans le dos
de plus en plus
les dents cassent
une à une
au final tout est simple
comme la foudre »

https://michniak.bandcamp.com/track/avant-la-m-moire-choisie

Il fait ce qu’il a à faire. Ce qu’il a besoin ou envie de faire. Du travail d’artisan qui fait de son mieux puis partage son travail avec qui le souhaite. Avec qui saura être disponible. Cet album, c’est comme si un ami perdu depuis des lustres revenait me donner des nouvelles. Il fait nuit. Les moustiques aux aguets. On ne parle pas beaucoup. On fait peu de bruit. « Ce ne sont que des mots, des images et des sons ». Pas d’urgence et pas non plus de désir. Accepter la lenteur. Les répétitions. Le corps vieillit et cela n’entrave pas l’exigence, la recherche. Créer de la beauté à tout prix. Créer parce qu’il n’y a rien d’autre à faire.

Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu, 1 euro sur bandcamp. Merci à vous. Portez-vous bien.

Saint-Aygulf et Paris, 24 et 28 avril 2018

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4 réflexions sur « Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu »

  1. Merci pour ce billet doux-amer, idoine, pour célébrer le nouvel opus d’une trajectoire si logiquement en marge — en marge de la médiocrité ambiante, surtout.
    La vie est une expérience inouïe, qui crée des télescopages enivrants, sidérants. Ainsi, jadis j’écrivais moi-même ce billet au sortir du plus intense et puissant concert qui soit (et qui est sans doute resté, depuis, au sommet de mes chocs esthétiques toutes disciplines confondues) :

    http://kadjactance.over-blog.fr/article-un-rdv-programme-depuis-une-decennie-avec-l-insoumission-et-effroi-eriges-en-systeme-51279382.html

    Je l’ignorais à l’époque, mais le Programme était déjà en train de s’achever, Damien Bétous n’en pouvant plus des dérives « bipolaires » de ce forcené de Michniak. Je ne juge pas et je n’invente rien, puisque je tiens ces propos de mon ex-beau-frère, lui même beau-frère de Bétous – qui fut donc, un temps (en 2016), mon propre beau-frère par le jeu de cette imprévisible combinaison. J’avais finalement gravité, par la bande, dans la galaxie Michniak, sans jamais toutefois rencontrer ni Arnaud, ni même Damien, Lyon (où je vis) ou Rennes (où j’ai recueilli ce témoigne indirect) étant trop loin de « la Ville Rose ».
    J’étais incrédule : « Tu me dis que Damien Bétous – LE Damien Bétous de Programme, mon obscur groupe favori depuis quinze ans – est ton beauf’, et donc le mien par extension !? — Erwann : « Comme je te le dis, Mon Gilou ; il était même assis à ta place y a pas quinze jours !… »

    Ce jeu confondant des synchronicités browniennes (cf. Mouvement brownien) m’aura donc permis de comprendre, grâce à cette relation (avec une femme qui, « comme par hasard », était affublée de mon prénom en guise de patronyme !), comment et pourquoi Programme n’est plus, pour mieux faire mon deuil de cette catastrophe qui nous laisse orphelins – presque. Presque, puisque Michniak est toujours vivant, qui perd ses dents à mon instar, qui vieillit sans fléchir pour autant, qui sait la primauté d’une limpide fulgurance (foudroyante, si prodigieusement simple et concluante, oui), qui calme ma propre urgence (après l’avoir autrefois aiguisée avec des morceaux gigantesques de tensions et merveilleusement oppressants, tels « Je sais où je vais » ou « Une Vie » sur les premiers albums du duo) et m’invite à cultiver patiemment mon propre désir de création – ma nécessité. « Accepter la lenteur. Les répétitions. Le corps vieillit et cela n’entrave pas l’exigence, la recherche. Créer de la beauté à tout prix. Créer parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. » Tout cela me renforce dans mes convictions, dans ma vocation, et je me sens instantanément plus légitime dans mon grand projet, mon propre programme… Rendez-vous ici, un jour prochain, si vous laissez survivre ce blog – une sorte d’adresse postale où vous retrouver à terme, comme dirait Michniak (qui avait jadis « la Fnac pour boîte à lettres ») –, où je prends l’engagement de revenir vous saluer sous un autre statut que celui de visiteur anonyme, de lecteur lambda, de passant interchangeable ici-bas.
    Portez-vous bien et merci pour ces bouteilles sensibles à la silencieuse mer numérique.

    1. Merci pour ce beau message. Désolé pour la lenteur, je viens ici de moins en moins. J’écris de moins en moins. C’est souvent que j’ai envie de d’effacer ce blog et de revenir aux photocopies diffusés dans un cercle proche. Ou que je fantasme de petits objets artisanaux passés de main en main. Et il y a des messages comme le vôtre qui m’en empêchent. Et peut-être est-ce une bonne chose, je ne sais pas. Amitiés, Laurent.

  2. Magnifique texte qui sert à vif la singularité de celui que l on peine à nommer ;les larmes viennent si vite .

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