autocensure (improvisation 1)

La règle est simple mais cela ne suffira sans doute pas pour que je la respecte longtemps, je n’ai pas le goût des contraintes durables : écrire vite et d’une traite sur un sujet qui me trotte dans la tête depuis des mois ou des années et qui, velléitaire que je suis, rejoint les projets restants à l’état de projets si je ne me secoue pas un peu de temps à autre. Mais il ne faut pas exagérer : si la matière première est écrite d’une traite, elle est retravaillée ensuite jusqu’à tenir la route. Je n’ai jamais cru une seule seconde aux âneries de ces crétins staliniens de surréalistes français et je crois que les adjectifs précédents peuvent se combiner dans tous les sens… Le premier jet peut donner des pistes, il ne peut être donné à lire. Il faut travailler. Reprendre les mêmes phrases sans cesse. Et chasser le gras, l’inutile. Donc acte. Ce texte a été rédigé le 19 juillet 2015 alors que femme et enfant étaient au cinéma pour un mauvais film et a ensuite été retravaillé à la virgule près.

Ce blog a un lectorat minuscule, une dizaine de personnes vient régulièrement lire mes bricoles, ce sont en majorité des femmes, une dizaine y jette un œil épisodique et ce doit être tout – ma femme est de ce deuxième groupe. J’évite autant que faire ce peut les textes pouvant être gênants pour ce lectorat minuscule. Et tous les textes liés à / dérivés de l’attirance fugace ou durable que je peux éprouver pour une femme autre que la mienne sont donc recalés. Ceci explique en grande partie les trous chronologiques dans ce blog. Les vieux textes ne posent pas de problèmes : il y a prescription, nous nous sommes rencontrés tard, nous avons tous deux eu une vie sexuello-sentimentale plus ou moins chaotique auparavant. Les vieux textes, ça va. Mais les vieux textes ne me correspondent plus tout à fait. Parfois je les retravaille, le plus souvent je me contente d’un nettoyage cosmétique : supprimer une lourdeur de ci de là, une expression trop datée ou ordurière. J’enlève la poussière, c’est comme le ménage et le repassage du week-end, ça n’a rien de très excitant.

Les textes récents m’intéressent davantage. Ils sont rares. Je préfère être seul pour écrire et avoir femme et enfant n’aide pas. Avoir une profession où il est possible de travailler sans cesse et toujours plus n’aide pas non plus. Idem pour la paresse et l’internet… Il ne s’agit pas de me plaindre, c’est un constat. Il y a encore un an j’écrivais lors de mes déplacements ferroviaires, maintenant je bosse, je mets des données en forme, j’évalue des articles scientifiques, je finalise des papiers ou des communications, l’ordinaire lié à mon activité salariée. Les textes récents sont des rescapés de mon emploi du temps. Et ça m’agace souvent de ne pouvoir tous les mettre en ligne. Mais ce n’est pas possible. Je n’ai pas le droit de jouer publiquement avec les sentiments que les autres m’inspirent. Et ce qui se passe alors est d’une simplicité enfantine : je griffonne trois lignes et si je sens que le texte dérape vers une zone non autorisée, j’arrête et passe à autre chose – un jeu en ligne le plus souvent.

Quand j’avais dix-sept ou dix-huit ans, Thierry m’a dit un jour « toi tu seras écrivain ». Je l’ai cru longtemps. J’ai cessé d’y croire lorsque j’ai repris mes études avec le CNRS pour objectif. Un blog n’a pas de valeur. Un texte sur écran n’a pas de valeur. Un texte littéraire a besoin du papier pour exister. Alors si on ajoute à l’écran la peur de gêner quelqu’un-e en écrivant ceci cela, le constat est évident : il n’y a pas de littérature ici. Juste une vieille habitude que je refuse de lâcher parce que je le sais, si j’abandonne, il ne me restera plus rien. Arrêter ce minuscule effort d’écriture serait un signe de renoncement, d’acceptation. Je reste persuadé que la vie quotidienne est une horreur sans nom, il n’est pas admissible de s’en satisfaire sans lutter jusqu’au bout.

Écrire un article scientifique est d’une facilité étonnante : il y a des codes, des règles, des formats à respecter. Il suffit de travail et d’une idée un peu correcte. Écrire une nouvelle ou un poème en prose qui tienne la route est un combat sans fin. Si on a un minimum de respect pour la littérature, s’il y a quelques textes pour lesquels on donnerait sans hésiter plusieurs années de vie (Last exit to Brooklyn, Tokyo-Montana Express, D’un château l’autre…), l’approximation ne peut être satisfaisante. Mais les modèles écrasent, boire est plus aisé. Je le sais, je n’ai jamais écrit une page qui soit à la hauteur des premiers Selby. Alors on se console en regardant les meilleures ventes et l’on se dit, d’accord ce n’est pas Tralala mais comparé aux ordures qui encombrent les linéaires et les tables des Relay, ça reste quand même un peu de la littérature. J’aime à le croire en tout cas.

C’est le problème avec l’improvisation. On a un fil rouge en tête, et très vite ça dérape. On zappe d’un sujet à l’autre sans en épuiser aucun. Mais c’est lié tout ça. Ça peut sembler brouillon mais c’est lié. Je m’acharne sur ce blog car je reste persuadé que la littérature mérite des efforts tout en sachant que s’interdire des sujets est le meilleur moyen de rester à la surface. Mais rassurez-vous, cette contradiction reste très supportable au quotidien.

Paris, juillet – août 2015

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