autoportrait en mars 2000

revendiquer toutes les faiblesses et les aiguiser au plus juste
désarmés les lames et les tranchants
une écaille à chaque doigt
des pierres en place de corps
un cri en lieu de cerveau
même si ce n’est pas tous les jours confortable
la puissance du rien n’est pas un slogan
et toujours j’avance en titubant toujours j’avance

je marche et vite
ma peau ne marque plus
elle saigne seulement
se découpe en plaques
et dans la rue les enfants me dévisagent
me désignent à leurs parents
je les effraye et leur en veux
moi qui rêvait la famille nombreuse mais
mais je suis trop détruit à présent

l’alcool encore et toujours alors que partout je jure le contraire
croix de bois croix de fer
aux parents et aux amis
la valse des bonnes résolutions
arrêter de boire
arrêter de pleurer
arrêter de me plaindre
arrêter le cul et les histoires d’amour foiré
un mensonge derrière chaque porte claque

comme j’aimerais croire
comme j’aimerais me moquer

je me suis construit de courants d’air
j’ai rebondi par les suicides
les accidents de voiture
les trahisons
les charges de CRS Place de la Nation
les incinérations d’amis sidéens au Père Lachaise fin 95 début 96
les matins plombés
les réveils dégueulasses
la bouche sèche cendrier
ma petite enfance cadavre aucune image et c’est parfait
je me suis construit
je ne sais ni d’où je viens ni où je vais et j’en rigole
de toute façon je ne veux rien savoir

avancer à la serpe
dégommer les lâches un à un
m’y fracasser la gueule au besoin
pas de quartier pour les menteurs
tous ces planqués…
je méprise leur réussite

il n’y a pas de solution parce qu’il n’y a pas de problème
il n’y a pas de problème parce qu’il n’y a pas de sens à donner

une succession de hasards
le tort de les prendre au sérieux
au tragique parfois
et les mots en défense
les phrases en rempart
les mots ne servent à rien et sont ma seule puissance
les cracher un à un
en tisser des blocs
s’y atteler tous les jours
y penser toutes les heures
apprendre à les respirer
comme si l’écriture pouvait différer mon désastre ne serait ce que d’un voyage et d’un amour

je me suis trop perdu pour que cela me soit encore possible
j’attends quelques menues bricoles plus un billet d’avion
j’attends ma femme et mes enfants
j’attends mon éditeur et la fin de l’hiver
j’attends d’être trop fou pour passer au travers
pour enfin m’étaler
me vautrer dans le bonheur
et définitif

à défaut je prendrai le sommeil

autoportrait

Paris, mars 2000
Source de l’image : http://inourwordsblog.com/2011/11/15/out-of-the-closets-into-the-occupation/

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