Bruce Springsteen, Nebraska, 1982

Il doit exister au bas mot 50 biographies de Bruce Springsteen dont 45 préfacées par cet escroc d’Antoine de Caunes tout comme il doit exister 150 biographies des Rolling Stones dont 124 préfacées par cet abruti de Philippe Manoeuvre – je ne parle là que du marché français, je ne connais pas les équivalents anglophones de ces deux guignols – et il n’est donc pas utile de situer le personnage, sa trajectoire, le côté exemplaire de sa carrière et de son attitude. Ce type a tout pour inspirer le respect. Il n’a pas trahi sa classe, il est resté un prolétaire tout en devenant millionnaire et j’ai lu suffisamment de comptes-rendus de concerts de ce type ces trente dernières années pour savoir qu’il est d’une générosité sans bornes. Et pourtant, et ça ne date pas d’hier, hormis une poignée de titres (The river, Thunder road, que des titres sortis avant Born in the USA donc) et un album (Nebraska, 1982), sa musique m’ennuie. Qu’il soit un type bien ne change rien à l’affaire.

Il y a la version fantasmée que je suis persuadé d’avoir lue déjà, et qui évidemment fausse : seul, déprimé avec un 4 pistes, un harmonica et une guitare, il enregistre Nebraska en une poignée de semaines puis bataille avec sa maison de disques pour sortir son album le plus sombre. Alors que non. Il n’est pas seul, il n’est pas certain qu’il soit déprimé, il est chez lui avec un nouveau jouet, un magnétophone 4 pistes et il travaille, comme d’habitude, il compose des maquettes de chansons destinées au E Street Band. Mais ça ne marche pas. Les versions brutes sont plus efficaces que celles enregistrées avec sa meute de bûcherons (doués certes, mais des bûcherons malgré tout). D’où la décision de garder les maquettes, arrangées avec un travail de production non négligeable (voir le travail sur les choeurs dans Atlantic City par exemple) mais, comparé aux albums précédents et à ceux qui vont suivre, Nebraska peut effectivement passer pour une forme de suicide commercial.

Sans jamais avoir pris la peine de lire les paroles, les images défilent. Banlieues pauvres, petites villes sans qualité, autoroutes sous la pluie, zones industrielles proches de la fermeture, destins ordinaires de personnes qui seront broyées une à une mais aimeraient pouvoir rêver encore un peu, il chronique celles et ceux qui l’entourent, sans juger, sans en rajouter des tonnes. Dans la catégorie idiote* – mais qu’on me ressort à chaque fois – « albums déprimants », c’est le négatif de Berlin, le péplum baroque de Lou Reed. Nebraska est une sorte de reportage fatigué : pas de mélo, pas d’emphase, ni dans les textes, ni dans les musiques, ni dans les situations.

Les moments de paix sont rares. Les moments où l’on peut s’allonger, fermer les yeux et se blottir dans une mélancolie douce, les moments où, malgré les murs en pleine face et les coups de poignard dans le dos, malgré les amies perdues et le corps qui pourrit, la violence publicitaire et la médiocrité masculine, la vie paraît tout de même un pari digne d’être tenté encore. Les moments de paix sont rares et il faut se battre à chaque instant pour finalement en arracher parfois quelques bribes à ce quotidien imbécile, destructeur. Nebraska est l’un des albums idéaux pour accompagner ces moments rares..

*un album déprimant ce n’est ni Berlin ni Nebraska, un album déprimant c’est une compilation top 50 des années 80 ou l’intégrale des dégueulasses elmer food beat, enfin, un album déprimant salit la musique.

Paris, décembre 2015

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