depuis le 13 novembre

sur quelques conséquences personnelles et parfois non prévisibles des massacres parisiens

depuis le 13 novembre j’ai arrêté la pornographie en ligne et ne regarde plus en me masturbant les scènes de torture tarifée que l’on peut voir par milliers sur xhamster ou youporn, l’une des dernières que j’ai pu voir était un gangbang allemand de taille réduite, cinq types sur une femme et les mecs portaient des préservatifs ce qui est plutôt rare, plutôt bienvenu, et après avoir éjaculé dans leurs capotes, les mecs maintenaient vers l’arrière la tête de la femme blonde et vidaient le sperme dans sa bouche pour qu’elle avale et ça ne voulait rien dire, personne ne peut prendre de plaisir à cette situation à part des mecs capables de traiter des femmes comme de la viande, c’est comme ces scènes absurdes de fellation où le mec debout pince le nez de la femme pour l’empêcher de respirer, ça ne ressemble à rien, je me suis pourtant branlé devant ça, et j’ai arrêté donc. je me masturbe toujours autant mais mobilise de lointains souvenirs érotiques, la petite squatteuse bordelaise, la table de levallois-perret, un 69 marseillais, je fantasme sur mes jeunes et brillantes collègues, à la rigueur je regarde mes scènes fétiches de Porno holocaust de Joe d’Amato ou la séquence finale de Behind the green door (la plus belle et tendre fellation que je connaisse). j’ai arrêté la pornographie en ligne et ne compte pas la reprendre de sitôt. non que la pornographie en soi me pose problème, c’est simplement qu’il y en a trop, de trop mauvaise qualité, et que si j’éjacule, je n’éprouve le plus souvent aucun plaisir. j’aime la pornographie joyeuse et non standardisée des années 70, la pornographie de qualité des années 80 où déjà la normalisation des corps et des pratiques commence à se faire sentir. la pornographie mondialisée contemporaine, comme toutes les mondialisations industrielles, a trop d’effets néfastes pour être supportable : baisse de la qualité, dégradation des conditions de travail, exploitation forcenée des corps féminins – les mecs n’existent plus, ils ne sont là que pour bander, torturer et éjaculer de manière visible, il est possible qu’ils insultent aussi mais je regardais mes vidéos le son coupé, toujours -, surenchère dans le caractère dégradant et machiste.

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j’ai arrêté les jeux en ligne – je lis à la place, des essais sur le féminisme, la prison, les luttes terroristes d’extrême-gauche des années 70-80, des textes politiques, des romans contemporains, des biographies, Building stories et les Peanuts, je lis dans tous les sens sans le moindre plan sans le moindre programme. je jouais une heure par jour minimum, deux parfois. le plus souvent à Pepper panic en écoutant les podcasts de Konstroy. je ne peux plus, je ne veux plus jouer. je n’ai pas eu à réfléchir, la décision s’est imposée d’elle-même, et je prends du retard dans mes podcasts…

j’ai arrêté de faire des crêpes le dimanche soir en écoutant le masque et la plume. une semaine sur deux, je sors pour aller à la Comédia à Montreuil ou au CICP écouter des groupes bruyants, et je préfère quand Timothée m’accompagne, je préfère ne plus être seul au concert, l’autre semaine, je mange avec la famille mais écouter des bourgeois rire de livres et de films que je ne verrai pas, que je ne lirai pas, ne m’amuse plus maintenant. cela faisait plus de quinze ans que j’écoutais cette émission en faisant des crêpes. je me rappelle à Pau en 1999-2000 j’enchaînais ça avec Urgences sur la 2 et j’écoutais les cinq dernières minutes du masque pendant la plage de pub entre deux épisodes mais c’est fini, c’était avant, et je pense que ça embête un peu mon fils, il aimait bien les crêpes du dimanche soir mais bon, il voit que ça ne va pas, il n’insiste pas… et aussi je m’étais mis depuis plusieurs années à picoler en faisant mes crêpes et à 21 heures j’étais défoncé, j’arrivais à peine à marcher droit jusqu’au balcon pour une clope, il était temps d’arrêter, surtout qu’aux concerts je bois du café ou du coca. et depuis le 13 novembre, je sors beaucoup plus, je vais à un à trois concerts par semaine, des bars, des salles minuscules, sans videur à l’entrée, sans service d’ordre, je sors pour ne pas oublier pourquoi j’habite ici, pourquoi je supporte les uniformes à chaque coin de rue et les colis suspects, trafic interrompu sur les lignes 2, 6, 9 et RER A, je sors pour ne pas oublier que je dois tout à cette ville.

j’ai arrêté la presse couchée je ne l’achetais plus depuis longtemps mais il m’arrivait encore de traîner sur leurs sites web et c’est fini, les saloperies mensongères mises en ligne par libé le jour de la manif non autorisée contre la cop21 ont eu raison de ma patience, les débilités proférées par l’ensemble des pourri.e.s qui croient nous gouverner, la course aux perquisitions (3000 pour nouvel an ?), tout ceci me donne envie de vomir. comme le chantait Diabologum au siècle dernier « mais putain qu’ils se taisent » (365 jours ouvrables, 1996, #3). et j’attends avec impatience que le monde, libé, le figaro, l’huma, les échos, la tribune, et j’en oublie sans doute, j’attends ave impatience que tous ces parasites fassent faillite et cessent enfin leur journalisme d’état. les radios d’état, j’avais arrêté depuis bien longtemps et n’ai évidemment pas repris.

j’ai pleuré comme jamais j’ai tremblé comme jamais j’ai pris des cachets pour ne plus pleurer ne plus trembler et j’ai arrêté les cachets et il m’arrive encore de pleurer comme tout à l’heure en forêt, j’y marchais seul et vite, laissant les mots et les images se bousculer et tourner en boucle dans mon crâne fatigué…

je me suis mis à écrire beaucoup plus souvent aux personnes, aux femmes surtout, que j’apprécie, et il n’est pas rare qu’en début de soirée je papote en ligne avec julie ou marion, j’ai envie de savoir comment elles vont, ce qu’elles vivent, j’ai envie de les aider si c’est possible et parfois ça l’est. je prends rendez-vous avec l’une ou l’autre lorsqu’elles passent par paris afin de boire un café gare de l’est, de déjeuner ensemble dans le 13e, et moi qui n’exprime que rarement ce que j’éprouve – écrire ne compte pas, écrire c’est toujours se cacher -, j’apprends à dire à celles et ceux que j’apprécie qu’ils et elles comptent pour moi. il y a ce vieux cliché, nous vivons comme si nous étions immortels et le 13 novembre j’ai eu tellement peur de perdre quelqu’un.e que désormais je me censure moins, m’expose davantage. et si demain je me fais flinguer ce qui est possible ou si demain je me flingue ce qui n’est pas prévu, au moins j’aurai été honnête avec ces quelques personnes. je me fais peu à peu à l’idée que celles et ceux auxquel.le.s je tiens peuvent disparaître à n’importe quel moment et que la seule chose à faire est d’en profiter tant qu’il est temps.

depuis le 13 novembre 2015 j’ai arrêté la fiction. j’ai beaucoup écrit et comme d’habitude beaucoup jeté. les quelques textes mis en ligne ici-même l’ont été dans les catégories fatras et écrire sur le rock – des textes à peu près autobiographiques donc. la fiction, ce n’est pas comme l’a supposé un jour marion « imaginer des possibles impossibles », la fiction c’est jouer avec le réel. le tordre, le distendre. le réel depuis le 13 novembre est trop dur pour que je parvienne à le tordre. le réel résiste et m’agresse et je me défends comme je peux, le plus souvent mal. ma peau est un champ de bataille permanent, je saigne de la tête aux pieds et évite de me montrer nu devant ma femme de peur de l’effrayer. je ne dors pas. je bois trop et ne parviens jamais à être saoul. je fume trop et la crise d’asthme se fait toujours attendre, je ne tousse même pas le matin… et ces pauvres textes ne sauraient être une défense efficace mais je n’ai pas, et ne souhaite pas avoir, d’autre arme à disposition. et je pourrais chercher une chute percutante ou rigolote pour faire le malin mais ces dernières semaines je n’en ai pas plus envie que de jeu ou de pornographie en ligne. l’important n’est pas de trouver une chute maligne mais de viser le juste, l’intime. de viser ce qui fait de nous un peu plus que des « machines à vivre » (Hippo dans Un monde sans pitié, 1989).

Behonne, décembre 2015

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