Écrire sur le rock, première partie

Écrire sur le rock est sans doute l’un de mes projets les plus anciens et celui qui me paraît, et j’essaye ici de comprendre et d’expliquer pourquoi, le plus difficile à mettre en œuvre. Avant le billet consacré aux Bérurier noir publié il y a quelques mois sur ce blog, je n’avais jamais réussi à terminer quoi que ce soit. Pas la moindre critique d’album, pas le plus petit compte rendu de concert. J’ai pourtant essayé. Je me suis obstiné comme rarement. J’ai brouillonné pendant des heures. J’en ai rempli des tiroirs de ratures avant de tout jeter. Comme si la barre était trop haute… Écrire un poème, une nouvelle, un roman, aucun problème, je sais faire – c’est moins bon que je ne le souhaiterais mais je sais faire -, je me suis dressé pour ça, mais écrire pourquoi Où veux-tu qu’je r’garde (Noir Désir, Barclay, 1987) a changé ma vie, là non, je n’ose ni n’y parviens. Et c’est bizarre quand même.

Il y a plus de vingt ans, j’avais établi une liste de règles relatives à cet exercice et, si j’ai oublié les détails, les principales étaient les suivantes :

  • ne pas citer de nom autre que celui du/de la chanteur/se ou groupe dont il est question. C’est trop facile d’étaler des références, la voix de bidule, la guitare de machin, l’ombre porté d’un ou d’une telle, ça n’a pas de sens ;
  • ne pas s’appuyer sur des anecdotes ou des éléments biographiques des auteur-e-s. Un album existe en dehors de son auteur-e. D’où il ou elle vient, ce qu’il ou elle a déclaré à telle ou telle occasion, je m’en moque. Ce qui m’empêchera pas exemple d’écrire la moindre note sur le dernier album de Cantat… ;
  • ne pas viser la formule mais être au plus de la vérité de ce que cette musique provoque ;
  • seuls les bons albums et les bons concerts méritent qu’on écrive dessus – assassiner est trop facile. Cette dernière règle n’empêche pas le fidèle lecteur que j’étais alors d’avoir hurlé de rire sur un concert de Springsteen chroniqué par Laurent Chalumeau dans Rock’n Folk dans les années 80 – décennie où pourtant ce mensuel a touché le fond en terme de qualité, mais je reviendrai sur cette revue une autre fois. Chalumeau évoquait notamment les anecdotes racontées alors sur scène et, avec une mauvaise foi infinie, prêtait à Bruce des propos aussi captivants que : « Euh, quand j’étais petit, euh, je n’étais pas grand ». J’ai perdu ce numéro depuis, j’aimerais beaucoup relire et re-rire cet article. Où les deux qu’il a consacré aux Guns ‘n ‘ Roses – oui, il y eut une période musicalement pénible où ce groupe était l’un des rares audibles , juste avant que Sonic Youth, Pixies et Nirvana ne viennent nettoyer tout ça. Mais retournons aux règles…

Ces règles étaient issues d’une lecture massive et critique de magazines rock : Rock ‘n Folk de 1985 à 1992 environ, Best de façon cursive à la même période, les Inrockuptibles première formule à partir de 1991. Rien ne m’agaçait autant que ces paresseux qui pour chroniquer le premier album de PJ Harvey (Dry, 1992) se croyaient obliger de citer Patti Smith. Qui, toujours sur cet album, évoquaient le contraste entre la douceur du paysage du Dorset – dont est originaire Polly Jean Harvey – et la sécheresse de l’album. Cet album, j’en vivais chaque note, j’en ressentais chaque parole et rien de ce que je lisais ne me paraissait à la hauteur. Il fallait faire mieux. J’essayais sans y parvenir – voir plus haut.

Il me semblait nécessaire de faire autrement. Et j’étais déjà persuadé qu’écrire sur le rock pouvait donner de la grande littérature – la découverte de Lester Bangs quelques années plus tard me conforterait dans cette idée. J’ai depuis lu beaucoup, les anglophones (Nick Cohn, Nick Kent, Jon Savage) comme les français (François Gorin, Laurent Chalumeau, Michka Assayas), beaucoup lu et rien écrit.

Écrire sur le rock est devenu un sport très répandu et si, lorsque j’étais ado n’existait que la peu attirante collection de livres édités par Rock’n’Folk (Magma par Antoine de Caunes…), les collections et ouvrages se comptent aujourd’hui par camions ou wagons. Je ne les lis plus guère. Le pire étant le nombre ahurissant de « beaux livres » consacrés au punk, on croit rêver… Mais le désir d’écrire, et le blocage qui survient très peu de temps après, se maintiennent. Et je ne désespère pas, je ne m’avoue pas vaincu, je continue à prendre des notes et qui sais, la rubrique fatras accueillera peut-être un jour le texte que je me promets d’écrire depuis plus de dix ans sur Noir Désir. Sauf oublier Public Enemy, Frustration, la chanson Kané (Fauve≠), Casey bien entendu et bien d’autres encore qui, depuis des mois ou des années, m’aident à vivre, à respirer et à, tant bien que mal, tenir debout. Je vous adore et je saurai là l’écrire un de ces jours, promis.

Paris, mars – mai 2014.

sonic_youth
Sonic Youth sur scène, photo extraite de l’article http://whatanicewaytoturn17.blogspot.fr/2011/01/sonic-youth-totally-ruin-boss.html

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