N’importe quoi

– Il faut qu’on parle dit-elle et comme toujours quand une femme prononce ces mots, j’ai envie de fuir ou de la serrer contre moi en silence mais comme toujours je n’agis pas assez vite et les formules idiotes tombent aussitôt.
– Il faut que je sache si c’est sérieux entre nous. Je ne sais pas comment gérer notre relation. Et je préférerais être sourd qu’entendre pareilles absurdités, et je sais que je ne dois pas réagir de suite. Si je sors ce qui me passe par la tête, notre histoire ne sera ni sérieuse ni amusante, elle sera terminée. Mais quand même… Gérer une relation et me demander si elle est sérieuse. Elle sort ça d’où ? Ça ne veut rien dire. Je gère mon budget à la limite. Je peux jouer à gérer ma carrière si ça m’amuse. Si je pouvais croire que les activités salariées que je suis obligé d’accomplir à intervalles réguliers pouvaient être nommées carrière. Mais gérer une relation. Et c’est bête, ça avait bien commencé nous deux. Plus de cul que de paroles mais ça ne me gênait pas, je me méfie des mots. Il y a trop longtemps que je joue avec.
Elle se tait et me regarde. Qu’est-ce que tu en penses ? Je n’en pense rien mais elle veut autre chose. Je dois faire l’idiot, gagner cinq minutes.
– Je ne comprends pas.
– Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?
– Rien, je ne comprends rien… Elle soupire. Et j’aimerais être capable de la faire rire au lieu de laisser gagner le silence. Elle me regarde. Elle attend. Je t’écoute, vas-y. Je m’en moque que notre relation soit sérieuse ou non. Elle existe, elle est là et le reste m’indiffère. Ce ne sont pas les paroles qui conviennent, je ne les prononce donc pas.
– Tu te vois comment dans cinq ans ? Se mordre l’intérieur des joues pour ne pas soupirer ou hurler de rire. Dans cinq ans ? Et son regard est net, elle exige une réponse sérieuse. Elle veut des arguments. Elle veut savoir si dans cinq ans, je me vois avec elle et peut-être un enfant. Ce serait chouette un enfant. Je suis un compagnon médiocre dans la durée mais je sais que je ferais un père correct. Dans cinq ans. Si tout se passe bien, je me vois encore vivant. Un peu plus abîmé sans doute. La vue, les dents. Mais en forme dans l’ensemble. Et dans l’ensemble fidèle à mes principes et à mes valeurs. C’est idiot, je n’imagine jamais l’avenir. Je ne me projette pas comme on dit. Il y a des choses à faire et à vivre aujourd’hui et c’est suffisant.
– Tu ne veux pas me parler c’est ça ? Me baiser c’est possible mais parler avec moi, ça ne t’intéresse pas ? Ça dure très, trop longtemps à mon goût mais nous finissons au lit et je la fais jouir et c’est toujours ça de gagné mais je le sais, ça va se reproduire, elle reviendra à la charge et je le sais aussi, je ne donnerai pas les bonnes réponses et elle ira voir ailleurs, elle cherchera quelqu’un d’autre et avec ce quelqu’un d’autre, elle parviendra à gérer. Et c’est dommage. C’est plutôt bien nous deux jusqu’à présent.

Rouen, 3 décembre 2014 et Paris, avril 2015

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