Noir Désir et moi (1)

Je ne sais par où commencer même si point et lieu de départ sont connus. Issoudun, 1987, dans la chambre de Yann D. Yann D, je l’aperçois encore une fois tous les deux-trois ans lorsque j’emmène mon fils en vacances chez ma mère, il est journaliste à la Nouvelle République maintenant. Je me rappelle, ce devait être  en 1992, il était en école de journalisme alors et faisait son stage aux Inrockuptibles, première formule, bimestriel en noir & blanc et chroniques impeccables. Les seuls à l’époque à pouvoir en France mettre les Pixies ou PJ Harvey en couverture – j’ai encore les numéros dans un placard proche. Je les relis parfois en diagonale. Je connais la plupart des textes par cœur. Il a décroché un stage, écrit une chronique de disque et j’ai alors pensé qu’il m’avait volé ma place. J’étais fait pour écrire là, c’était comme ma famille, mes grands frères idéaux. Ça ne s’est pas fait. Lui a fait une école de journalisme et moi non, j’ai fait d’autres choses et dans le désordre. Mais lieu et point de départ sont connus.

Commencer alors par l’évidence : Noir Désir est le seul groupe à avoir eu la longévité et le talent nécessaires pour  me faire passer d’ado mal dans sa peau (pléonasme ?) à l’adulte que je suis aujourd’hui. De Où veux-tu qu’je r’garde ? à Des visages, des figures – le live sorti en 2006 ne compte pas, et moins encore les deux morceaux « Le temps des cerises » (palme de la reprise la plus inutile)  et « Gagnant perdant » (paroles et musique en service minimum) mais je reviendrai sur le sujet une fois prochaine* -, j’ai attendu leurs albums au jour près et j’y ai souvent trouvé la force pour continuer vaille que vaille. Vivre valait le coup, un nouvel album, une nouvelle tournée se préparaient. Et il ne fallait rater ça pour rien au monde ! J’ai écouté Noir Désir avec toutes les femmes de ma vie, de celle qui m’a fait perdre mon pucelage à celle qui vit à mes côtés aujourd’hui. Et je sais tout ce que je leur dois…

Commencer par 1987 donc. J’ai seize ans, bon élève, puceau, le resterai pas mal d’années encore. Mon petit frère vient de naître et je me suis promis de ne pas me foutre en l’air. D’encaisser quoi qu’il arrive. Tenir bon, serrer les poings. Ce sera dur et je ne sais pas encore à quel point. Yann D. achète en vinyle Où veux-tu qu’je r’garde ? et nous écoutons ça chez lui et je n’en reviens pas, je n’ai jamais entendu ça… La rage… « Dans les salons bleus de la classe supérieure on sourit. » « Don’t leave me cold as dead fish eyes, go away, please go away », j’en frisonne de plaisir. Il m’enregistre l’album sur une cassette 60 minutes, l’album en boucle. Et j’ai dû me débarrasser de la K7 devenue inaudible quelques années plus tard.

Je n’ai pas de voiture à l’époque. Mes amis non plus. Issoudun est un trou perdu même si les City Kids passent une fois (1989 ?) et je suis le seul à danser au premier rang, je suis rarement heureux alors, il faut en profiter… Noir Désir fait une mini-tournée et je ne les vois pas. Ce n’est pas grave, ils ont commis l’album parfait et je sais déjà que je ne me lasserai pas de l’écouter. L’album a de bonnes critiques mais ça reste un mini-LP, ça ne se vend pas beaucoup.

Il faut attendre 1989 et Veuillez rendre l’âme pour que Noir Désir devienne et pour quinze ans le meilleur groupe de rock au monde. Et c’est rigolo mais quand il est sorti, je leur en ai voulu à mort. C’est à peine si je l’ai écouté. Il y eut ce moment absurde un samedi soir, ils passèrent chez Michel Drucker chanter leur tube, leur chanson de marin pourri – même le clip est ridicule – et ça ne valait rien, ils étaient mal à l’aise, se demandaient ce qu’ils foutaient là et je regardais ça dans le salon familial et franchement, j’avais honte pour eux. Ce n’est pas cette vidéo-ci mais la chanson reste minable. Et Serge Teyssot-Gay a bien fait de se raser le crâne… Je reviendrai des années plus tard vers cet album et je chantonne souvent Joey I et II ou What I need dans le métro en me rendant au boulot. Parfaite énergie…

Cette fois encore, je ne les ai pas vus sur scène. Ni pour l’album suivant d’ailleurs. Il faudra attendre Tostaky. Entre 1989 et 1992, je suis à peine capable d’aller voir un concert. J’ai trop peur des autres, trop peur de me montrer, entre 1989 et 1992 j’attends seul dans mes chambres d’étudiant successives qu’il se passe quelque chose, il ne se passe rien et je pleure souvent. « Elle va où elle veut » mais ce n’est pas avec moi, je ne suis pas prêt. Les Dogs sont les seuls pour lesquels je me sois déplacé à Tours, le Bateau ivre, 1990 (?), Dominique Laboubée était malade, la salle à moitié vide et j’ai eu envie de pleurer… Il faudra attendre Paris, 1993, mademoiselle M., il faudra attendre Tostaky pour enfin les voir sur scène et hurler « Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien ». Les plus belles paroles au monde lorsqu’elles sont crachées avec toute la rage possible… Et je comprends ça parfaitement.

 

* Juin 2014 : je viens seulement de découvrir via Wikipédia l’existence du morceau Aucun Express sorti en 2011. Cela m’avait échappé. Je ne l’ai pas écouté encore**, je viens de mettre 666 667 Club à l’instant, ça attendra et de toute façon mon Noir Désir est mort en 2004.

** Juillet 2014 : j’ai écouté ça hier. Puis j’ai réécouté l’original et je préfère. De très loin.

Paris, juin – juillet 2014

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