C’est difficile la fidélité, que ce soit en couple ou en musique. Je n’aime plus ce que fait Arnaud Michniak alors que je le tiens pour l’un des chanteurs les plus importants des vingt dernières années. Je télécharge ses albums sur bandcamp, je les écoute, je saute les morceaux les uns après les autres, ça ne va pas, ça ne me plaît pas, je ne les réécoute jamais mais ne parviens pas à les jeter. Lorsque je lis ses textes, ça va, je le retrouve mais cette façon de les chantonner, cet accompagnement musical anémié, c’est pénible, c’est pénible mais je garde. Je lui reste fidèle. Il est trop important, trop précieux et je dois continuer à lui faire confiance. C’est une question d’éthique.
Je l’ai vu trois fois sur scène, trois fois seulement.
À L’Élysée Montmartre en première partie des Thugs, fin 1996 début 1997, Diabologum existait encore. Je ne connaissais que le tube 365 jours ouvrables et sur scène, ils m’ont ennuyé. J’ai frissonné lorsqu’ils ont joué La maman et la putain et dès que j’ai pu, quelques années plus tard, j’ai acheté tous les albums et récupéré tous les singles de ce groupe. Qui a splitté peu de temps après. Ça se voyait qu’ils ne s’amusaient pas sur scène. Ça se voyait qu’ils n’avaient pas envie d’être là, ensemble.
En lointaine banlieue en 2003, un festival avec les Roadrunners (j’ai versé une larme quand une chanson a été dédiée à Dominique Laboubée mort quelques mois plus tôt), les Violent Femmes et des tas d’autres groupes que j’ai oubliés depuis. Programme jouait en fin d’après-midi dans un chapiteau pouvant accueillir 300 personnes facile. Le concert fut une claque formidable, les 30 personnes qui vivaient ce moment s’en rappellent encore aujourd’hui je pense. Un lieu improbable, hostile, mais entendre Entre deux feux dans ces conditions fut un grand moment. Arnaud tournait le dos au public. Ne commentait pas ses textes entre les morceaux. Ne demandait pas « Alors la banlieue parisienne, ça va ? ». Il n’usait d’aucune des ficelles démagogiques polluant depuis des décennies le cirque minable du rock et de la variété. Il vivait ses textes et les envoyait comme autant de coups de poings et ce fut magistral.
En banlieue proche après la sortie d’Agent réel, 2010 (?), très beau spectacle, tendu, Arnaud regardait le public cette fois-ci, semblait enfin à peu près à l’aise sur scène, se permettait même des remarques adressées au public. Gros travail sur la vidéo, les éclairages, son excellent.
Depuis Agent réel, Arnaud Michniak disparaît doucement. Il s’efface… Plus de maison de disque. Des disques à intervalles réguliers sur bandcamp en téléchargement gratuit – pas à prix libre, non, gratuit. Il vient de quitter facebook. Ne donne plus de concerts. Il disparaît et je me rappelle lorsque Mon cerveau dans ma bouche est sorti, je n’avais pas entendu des textes de ce niveau dans la chanson ou le rock français depuis… depuis Et basta de Léo Ferré. « Des singes qui déboulent de partout et tabassent tout ce qui passe » et les images de Pépé en arrière plan. C’est dur la fidélité. C’est dur de continuer à désirer quelqu’un qui change, vieillit. C’est dur d’être surpris, de retrouver l’intensité des premières fois. Je n’attends rien des prochains morceaux, je n’attends rien des albums à venir. Je les téléchargerai, j’essayerai de les écouter. Ce type est le plus grand écrivain de chanson des 20 dernières années, c’est le moins que je puisse faire.
Paris-Rouen, avril-mai 2016
Bel hommage.
Je pense pour ma part que « pour qui sonne le tilt » n’est pas loin d’être son plus grand album.
J’admire et respecte le fait qu’il ne se répète pas, qu’il n’use pas des mêmes ficelles album après album. Et je persiste et signe – même si je n’arrive plus à l’écouter -, ce type est le plus grand écrivain de chansons depuis Léo Ferré.
Cet article est très beau…
J’écoute ce que dit Arnaud Michniak depuis des années. « Une vie » a changé ma vie.
Entretemps, j’ai demandé et reçu le baptême catholique, ce qui pourrait surprendre bien des personnes qui écoutent aussi Michniak.
Pour moi aussi, c’est le plus grand écrivain de chansons, je dirais depuis Brel plus que depuis Ferré.
J’écoute toujours Programme, pas très souvent, mais régulièrement. Comme ce soir.
Il n’y a pas seulement le texte, il y a aussi la façon de le dire et de le chanter. J’ai déjà essayé de « dire » un texte de Michniak à quelqu’un, mais le texte est vide quand ce n’est pas Michniak qui le dit.
Comme disait Céline, l’écrivain met sa vie sur la table. S’il ne se sacrifie pas, ce qu’il fait ne vaut rien.
Arnaud Michniak l’a fait.
Et il a réussi à exprimer quelque chose d’extrêmement profond dans l’expérience humaine. Un forme de « désespoir espérant », bienveillant, d’une sincérité sans faille.
Le catholique que je suis aujourd’hui y voit une forme de sainteté… un homme enseveli sous les ténèbres de son époque, et qui malgré tout se débat et veut la vérité, la vie… la souhaite, l’appelle de tout son être.
Je lui souhaite de trouver la paix, de trouver Dieu. De se laisser sauver par Dieu.
C’est tout bon ce que je lis là. Croyez moi, je suis un homme de 46 ans, et ma vie à eu un drôle de tournant avec l’album » Mon cerveau dans ma bouche », lisez s’il vous plait le commentaire que j’ai fait il y a quelques minutes … On va essayer de fédérer. J’ai effectivement vécu les mille enfer, comme dans la chanson …
Bien à vous
Bonjour à tous,
J’apprécie les commentaires que vous faites à propos de cet artiste. Pour ce qui est de la religion peut-être qu’il y a un Dieu, mais ce qu’a fait le catholicisme de cette croyance au cour des années passées et surtout des siècles passés est assez catastrophique. Je respecte beaucoup les croyances de nos anciens. J’adore visiter de vieilles églises romanes des siècles passés au fin fond de la campagne entourant la ville où je vis. Moi je suis baptisé mais ne crois pas en Dieu. L’album de Programme : Mon cerveau dans ma bouche, a été un tournant spectaculaire dans ma vie. J’ai vécu les mille enfer comme dans la chanson, mais je suis toujours là. Je serais heureux de dialoguer avec vous, car j’adore moi aussi cet artiste. Je suis un Homme auquel la vie n’a pas fait de cadeaux. Mais je suis toujours debout. On pourrait se retrouver sur un réseau social comme Diaspora*, et partager nos centres d’intérêts. On est le premier Janvier 2018 il est 8 heure 30, et le tonnerre vient de déchirer mon espace sonore. Je serais très heureux de dialoguer avec vous. Mon identifiant sur Diaspora* Framasphere est « jeanfgue ». Lorsque j’étais jeune j’adorai les Bérus, il y avait une chanson qui disait : « rassemblons nous tous, une tribu ». Je vous invite à me retrouver sur ce réseau social si vous le voulez bien. En ce qui me concerne, je suis Biologiste de formation et j’étudie l’informatique à l’heure actuelle, je lis beaucoup et je suis un fervent passionné de musique pop rock indé. On aura des jours meilleurs, j’espère…