Je sais, j’aurais pas dû, c’est mal. Mais sur l’instant, j’ai eu l’impression qu’elle ne me laissait pas le choix. Ce n’était pas dans ses habitudes d’ailleurs… Et puis merde quoi, elle l’a bien cherché après tout, elle est autant responsable que moi dans l’histoire car enfin ça faisait cinq ans que je m’écrasais dans mon coin, que je veillais à ne pas prendre trop de place, cinq ans que je préservais sa précieuse liberté et que je payais les factures, cinq ans que j’allais bosser tous les jours, lever à 6 heures, une heure de transport aller, une heure retour, un boulot à la con d’ailleurs, cinq ans que je faisais les courses, la bouffe, le ménage, cinq ans que je lui offrais des cadeaux, des voyages, cinq ans que je l’invitais au restaurant et tutti quanti. Et pour quel résultat ? Continuer la lecture de À Venise
Archives de catégorie : nouvelles
Pour nous
Pour nous ce n’est pas facile tout ça, c’est loin d’être gai. Le monde normal. Niveau d’études à peine secondaire. Troisième plus zéro. Les standardistes. Les aides-soignantes. Les caissières. Les femmes de ménage. Les serveuses. Les contractuelles et les hôtesses téléphoniques. Les CDD à temps partiel, horaires flexibles. Les studios de vingt mètres carrés, pas de baignoire ni de terrasse, pas non plus de cuisine américaine, au mieux l’ascenseur et une concierge, souriante parfois. Continuer la lecture de Pour nous
Pau Lorca (version courte)
Note : si cette maison de retraite paloise a existé, et existe peut-être encore, il va de soi qu’aucun des noms ou prénoms présents dans ce texte de fiction ne correspond à une personne réelle, décédée ou vivante.
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Ça se passait toujours de la même façon. À peine étais-je entré dans le poste de soins pour prendre les transmissions, mon bip sonnait. Chambre 10. Alors, le plus calmement du monde, je l’éteignais. Continuer la lecture de Pau Lorca (version courte)
Paris-Londres
– S’il te plaît mon vieil amour, mon enfant, s’il te plaît tords-moi le sexe tel je te tordais le visage, et je ne trichais pas… Je n’exagère jamais, tu le sais bien. Tu as eu tout le temps de t’en rendre compte et parfois même tu ajoutais, je te connais comme si je t’avais fait et à mon avis, ça ne voulait rien dire, c’était plus stupide que prétentieux mais je ne répondais pas, je détournais la conversation, ou je changeais de pièce. Je ne savais que mentir altruiste, mentir pour ne pas blesser autrui. Continuer la lecture de Paris-Londres
Adulte hôtel – dernière partie
[suite de l’épisode précédent]
56. On s’habitue à tout c’est vrai. Le bruit et la crasse. Les insectes. Les toilettes au lavabo. Les rapports de force avec les proprios. Demain promis je vous règle. Le virement arrive. Demain promis. Vous avez dit ça hier déjà. Vous devez tant. Vous les aurez, vous les aurez… Combien de fois ai-je eu envie de les frapper l’une et l’autre ? Combien de fois ai-je fantasmé leur exécution ? Tous les jours sans doute entre mars et octobre 1996. Thierry les appelait les Thénardier. Cela faisait dix ans qu’il habitait ici. Il me racontait des horreurs sur eux. Comment ils avaient forcé une jeune à se prostituer pour payer le loyer. Comment si le ou la locataire les ennuyait, ils visitaient la chambre et dérobaient quelques objets, ou changeaient une serrure, mais si voyons, nous vous avions prévenu. Il inventait peut-être.
Adulte hôtel – troisième partie
[suite de l’épisode précédent]
41. J’ai appelé mademoiselle m. en octobre 1996. Nous ne nous étions pas vus depuis mars. Je n’ai pas osé laisser de message sur le répondeur. Puis elle a déménagé. J’ai récupéré son adresse et lui ai écrit au printemps 1997. Elle n’a pas répondu. Souvent je la voyais dans la rue. Ce n’était jamais elle. En septembre 1997, je l’ai revue à la grande halle de la Villette. Elle était avec un homme. Elle est venue me voir. M’a dit que ce n’était pas utile que je lui écrive. Qu’elle était avec quelqu’un d’autre maintenant. Que c’était fini. Je n’ai rien trouvé d’intelligent à répondre, je suis allé pleurer mes bières sur la pelouse. Et j’ai cessé de lui écrire. Je n’ai pas cherché à l’appeler. Je l’ai googlée l’année dernière : elle est retournée vivre en Bretagne, elle s’est mariée. Et voilà. Je ne souhaite pas la revoir. Je n’ai rien oublié de ma vie avec elle. Je sais tout ce que je lui dois. Elle ne peut imaginer à quel point je m’en veux pour tout le mal que je lui ai fait. C’est très banal tout ça. Ça arrive tous les jours. Et voilà.
Adulte hôtel – première partie
[Adulte hôtel est une longue nouvelle publiée ici en épisodes. Le texte complet est disponible en téléchargement ici. Elle se déroule en 1995-1996 à Levallois-Perret, ancienne ville ouvrière devenue célèbre dans les années 90 pour avoir été l’une des premières à se doter d’un système de vidéosurveillance et d’une police municipale (l’œuvre d’un nommé Balkany). Rappelons qu’à ce moment du siècle dernier, portables et accès internet sont rares…]
Adulte hôtel – deuxième partie
[suite de l’épisode précédent]
19. Lorsque j’ai appris le loyer de la chambre, je n’en suis pas revenu. 2500 francs par mois (450 euros). La mairie a payé les deux premiers. Puis ils-elles m’ont dit qu’ils-elles allaient cesser. Ou c’est moi qui leur ai demandé d’arrêter je ne sais plus. C’était quand j’étais fou. Ça a duré dix jours. Puis il a fallu trouver du travail pour trouver l’argent pour payer le loyer. Et devenir adulte donc.
20. Lorsque je vivais chez mademoiselle m., nous ne payions que les factures. L’appartement lui était prêté par son oncle. Et auparavant, en foyer, à la fac, je payais entre 300 et 400 francs par mois. Et souvent je touchais l’allocation logement. C’était facile.