J’ai vécu chaque moment tu sais avec une intensité incroyable, les joies, les peurs, l’agacement et je n’imaginais pas ça possible, je ne pensais pas que c’était pour moi, j’étais trop sombre trop noir trop laid, le monde était vraiment trop… trop dégueulasse et froid.
on en parlait avec celle-là il y a plus de vingt ans et nous nous imaginions avec deux enfants, une fille, un garçon, on avait les prénoms déjà et puis nous nous sommes déchirés enfin, je suis parti en saccageant tout derrière moi et après… après il y eut ce couple malade que je formais avec celle-ci et je n’ai jamais écrit là-dessus et j’évite le plus souvent d’y repenser car on a le droit de se foutre en l’air, on a le droit de survivre en zombie sans la moindre exigence, sans le moindre respect de soi-même mais pas en prétendant aimer quelqu’un.e parce qu’on ne tient plus debout seul et lorsque celle-ci est tombée enceinte, elle a avorté et j’aurais voulu qu’on le garde et celle-ci avait raison bien sûr, comme celle-ci a eu raison de partir ensuite
et après
après des rencontres d’une nuit ou d’une semaine et la question ne se posait plus
et plus tard avec celle qui deviendrait ta mère, la question semblait réglée, on n’aurait pas de gosse, ce n’était même pas un sujet de discussion et un jour que je n’étais pas là, je crois que c’est ma sœur ou une copine de ma mère enfin peu importe, qui lui a demandé si on voulait un enfant et celle qui deviendrait ta mère a répondu qu’avec moi elle était partante et voilà
ça tient à peu de choses tu sais, ça tient à rien une vie
j’ai vécu chaque moment mais je n’ai rien noté mais je n’ai gardé aucune trace, quelques photos c’est tout, quelques dessins et souvenirs, je ne sais plus quand tu as piqué ta première colère dans un magasin, à quel âge tu as su faire du vélo sans les petites roues, la première fois que tu as dormi dans le noir ou chez un copain, je n’ai rien noté, je n’ai rien documenté et ne le regrette pas vraiment
vivre tout ça au jour le jour prend une énergie folle je ne suis pas parvenu à trouver en sus la force de l’écrire, même un petit peu, oui c’est dommage mais que veux-tu gamin, écrire suppose de se poser à distance et je n’ai pas eu le goût de le faire, j’ai préféré vivre tout ça avec toi, à tes côtés.
Paris, 14 août et 8 septembre 2016