Épilogue

Ne pas se raconter d’histoires, ouvrir les yeux juste. Aspirer le paysage avant que de s’y fondre. Engloutir le monde d’un seul regard. D’un même élan. Essayer toujours. Ce qui sur le papier pourrait réussir et ne réussit pas. Le papier n’était peut-être pas de bonne qualité. Ou alors ce n’était pas le bon jour. Le bon moment. Pour s’endormir, compter les obstacles. Les jours où l’on souhaiterait mourir, les jours où l’on se satisfait de peu. Les jours où l’on espérait mieux. Les nuits égales. Essayer à tour de rôle et à tour de bras et sans jamais montrer la plus petite trace d’ennui, de lassitude. Ne pas non plus raconter d’histoires. Ne pas non plus se la raconter. Tenter l’inédit malgré tout ce qui a déjà été fait ou écrit. Ce qui n’est pas gagné n’est pas gâché pour autant, il convient de s’en persuader même si, et tout le monde le sait, rien n’est jamais assez.

Lorsque le corps me fout la paix, lorsque je sais éloigner la paresse, lorsque mes amis négligent de m’appeler, lorsqu’il n’y a rien à la télé, lorsque j’oublie ce que je crois savoir, lorsque ton absence cesse de m’ennuyer, alors seulement je peux me mettre au travail. Tout du moins essayer.

Les peaux ne tiennent ni la route ni la distance, elles s’amenuisent. Se laissent aller. Quand la lutte apparaît inutile, à quoi bon se fatiguer ? Guetter le souffle, les pulsations ou ce qui en tient lieu. Respirer les points de convergence et les embranchements, les lignes droites, les espaces courbes. Évaluer la profondeur des attentes. Fermer les yeux et ainsi croire se concentrer davantage. Les leurres aujourd’hui ont de l’attrait.

Les pertes comptées chaque semaine. Totalisées chaque mois. Tableaux et colonnes en ordre de bataille. Que les circonstances s’y prêtent, qu’elles ne s’y prêtent pas. Qu’elles choisissent d’en rester là. Que je décide de les laisser en l’état. Taire les solutions et négliger les problèmes, l’avancée se mesure en erreurs. Cercles de feu et sarcasmes dans le même projet. Il suffit de croire que tout va s’arranger et tant pis si ce n’est pas vrai, nous avons fait ce qu’il fallait.

Ramasser les briques. Ramasser les phrases. Ramasser les corps et les idéaux. Ramasser les muscles, les livres, les souvenirs, ramasser les regrets et les anciens tourments. Ramasser les eaux. Les outils qui traînent. Ramasser les poubelles. Les poussières. Ramasser le temps d’éveil. Les énergies contenues. Ramasser tout ce qui risque d’être perdu. Tout ce qui apparaît négligé. Ramasser les fragments de mélancolie. Les sursauts d’énergie. Les mélodies inentamées. Ramasser toujours. Ramasser encore. Ramasser pour conjurer le sort. Et si ça ne suffit pas, recommencer.

À défaut d’héroïsme, tenter l’ignorance. La naïveté.

Ne pas se raconter. Admettre une bonne fois que les mots sont plus qu’inutiles, encombrants. Fermer les yeux, fermer les poings. Fermer tout ce qui peut, tout ce qui doit l’être. Fermer les paupières. Devenir barrière. Construire de nouveaux murs et se croire en sécurité. Les sensations fortes échappent. Les expressions convenues. L’écrit file sans demander son reste lorsque la vie se présente. Lorsque qu’elle se fond dans le décor métropolitain. Surtout ne pas se faire remarquer, ne pas respirer fort, l’affranchissement des limites attendra. En guise de médaille, un profil bas. Améliorations décalées dans le temps. Remisées à plus tard. Bordées de lieux communs. De réflexes apprivoisés. La valse annuelle des bonnes résolutions n’engageant pas même celles et ceux qui les prennent.

Savoir au moins apprécier le soleil. Sourire à la pluie. Savoir au moins respecter les pages blanches, et le silence. Sur la première pierre, poser la seconde et sur cette dernière, en poser une nouvelle et ça n’est jamais fini et c’est très bien ainsi.

Paris, mars et juin 2003

eire

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