et je n’arrive plus à parler et je n’arrive plus à sourire et je n’arrive plus à jouer comme il conviendrait la comédie du père du mari du chercheur et je prends mes petites pilules roses matin midi et soir et je ne prends plus d’alcool parce que déjà je dors quatorze à quinze heures par jour et il me faut une à deux heures pour émerger avant de ressombrer de suite et ça commence à agacer ma femme et ça commence à inquiéter mon fils jamais ils ne m’ont vu comme ça et j’aimerais expliquer mais je ne peux pas tout dire je sais juste que je suis détruit cela fait très exactement quinze jours que je suis détruit
et le soir je n’ai guère le choix soit je prends ma petite pilule rose je me couche et m’endors avant de me réveiller trempé à quatre heures du matin en ayant envie de pleurer soit je sors pour éviter les réflexions et les reproches et je me dirige vers le premier concert venu en espérant qu’il soit rapide et bruyant en espérant que le bruit me fera espérer une poignée de minutes le marasme dans lequel je suis plongé et parfois ça marche comme dimanche dernier à la Comédia quand Riposte a une fois de plus explosé la scène mais souvent il ne se passe rien j’écoute hoche un peu la tête commande un café ou un coca entre deux groupes je ne bois jamais d’alcool en public je déteste être ivre en public et souvent il ne se passe rien mais au moins personne ne me voit ni ne me subit c’est déjà ça
et la journée la journée c’est l’enfer je fais la vaisselle pour être seul je repasse pour être utile je fais faire le solfège au gamin sans rien y comprendre sans rien suivre je fais les courses sans même savoir ce que j’entasse dans mon panier je peux rester bloqué dix minutes devant le rayon des céréales je n’y comprends rien et la journée je regarde mes mails ce que partagent mes amies sur facebook la journée j’attends qu’une d’entre elles m’envoie un message une chanson quelque chose mais souvent il ne se passe rien alors de guerre lasse je m’allonge lis deux pages et dors pour mourir un peu
et à quatre heures du matin trempé de sueur et le souffle court je me traîne jusqu’à la salle de bains reste assis sous l’eau brûlante une demie-heure me rase un jour sur trois vais prendre un café à la cuisine allume l’ordinateur et attends un signe mais mes amies dorment elles ont bien raison et j’aimerais faire pareil mais j’ai peur j’ai peur tout le temps même enfermé à la maison j’ai peur et à cinq heures lorsque je fume ma première clope au balcon le quartier dort encore seule une poignée de fenêtres est éclairée et je fume debout dans le froid en tremblant et je ne vois pas d’issue je sais juste que pendant deux heures je n’aurai pas à jouer la comédie ma femme dort mon fils dort je ne fais pas de bruit j’ai deux heures où je peux pleurer trembler et parfois parfois je peux écrire un peu parfois j’écoute un morceau et je me sens moins mal alors tout n’est peut-être pas encore perdu
28 novembre 2015