Serge Teyssot-Gay, 1996, Silence radio

C’était début 1996 à la fnac de la défense, je ne sais pas si elle existe encore, je n’ai pas mis les pieds là-bas depuis des années et il faut dire aussi que dans les années 90, la fnac c’était chouette, on pouvait se poser et lire toutes les bd qu’on voulait, les vieux classiques du rock, du Velvet à Neil Young, n’étaient pas très chers en cd, ça faisait partie des destinations culturo-commerciales habituelles les fnac à Paris. ça a changé. J’ai perdu l’habitude. Je préfère maintenant les librairies et les disquaires, les vrais. La fnac j’y retourne tous les deux-trois ans pour observer. Je n’y achète rien. A l’entrée, les premiers objets à vendre sont des casques audio et des cafetières à capsules. Et il y a masse de vinyles dans les rayons à des tarifs souvent délirants, et que ceux qui gèrent le catalogue des Beatles aillent se faire rôtir à feu doux en enfer…

C’était début 1996 et le premier album solo de Serge Teyssot-Gay avait eu droit à une critique élogieuse dans l’un des derniers Inrocks ancienne formule – bimestriel, noir & blanc. Je n’avais pas de quoi bouffer et je voulais ce disque. Je suis allé à la fnac de la défense et je l’ai trouvé en rayon, je l’ai pris, j’ai regardé les bouquins puis je me suis dirigé vers la sortie Silence radio à la main. Deux types – des noirs, déjà à l’époque – m’ont demandé de les suivre dans un petit local sans fenêtre, bardé d’écrans de vidéo-surveillance et en liaison directe avec les flics. J’ai dit que j’étais ailleurs, que j’avais pas fait gaffe, que j’avais de quoi payer. Ils m’ont cru je pense, j’avais l’air perdu, je puais, je n’avais pas mangé depuis deux ou trois jours alors ils ont contrôlé ma pièce d’identité, j’ai payé le cd et j’ai pu partir et dans mes dix mètres carrés dégueulasses, je n’avais plus de quoi écouter de la musique évidemment. J’attendrai quelques mois avant de l’écouter ce disque. D’être impressionné par la cohésion de l’ensemble. Par sa brutalité froide. Ce type m’a toujours paru être le plus intéressant dans Noir Désir. Le plus radical. Ce qu’il confirmerait une poignée d’années plus tard avec l’extraordinaire On croit qu’on s’en est sorti.

C’était début 1996. Mi 96, j’ai bradé tous mes disques histoire de pouvoir m’acheter du tabac et des pâtes. Silence radio n’a pas trouvé preneur. Début 2000, j’ai à nouveau bradé disques et livres et pareil, Silence radio m’est resté. Je l’écoute encore de temps à autre. J’aime l’objet, le graphisme, l’alternance de morceaux faussement calmes et de morceaux enragés. Je continue à le suivre, d’Interzone à Zone libre, et la dernière fois que j’ai croisé Serge Teyssot-Gay je revenais du karaté et j’attendais au feu rue de Ménilmontant, il est passé en vélo devant moi tout de noir vêtu et j’étais à deux doigts de le remercier pour tout mais je n’ai pas osé le déranger, il lui restait quelques bonnes centaines de mètres à grimper encore.

Saint-Aygulf, décembre 2019

NB : pourquoi écrire aujourd’hui sur un album paru il y a 25 ans ? parce qu’à l’époque j’étais jeune et désespéré alors qu’aujourd’hui je ne suis plus jeune ? parce que les émotions étaient plus intenses alors, surtout le ventre vide ?… mais pourquoi écrire déjà ? pourquoi continuer ? il n’y a pas de projet, il n’y a pas de message. juste l’envie parfois d’exprimer ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé année après année. merci à vous & à la prochaine. portez-vous bien.

Paris, février 2020

Gilets jaunes, un an, Place d’Italie

Ok ça ne sert à rien. Un peu de bruit, un peu de fumée. Quelques heures de bordel. Des trucs qui crament : poubelles, trottinettes et vélos électriques, panneaux publicitaires. Quelques vitres étoilées. Des tags sur les banques et les fast-foods. Ok ce n’est pas la révolution. Pas de grand soir à l’horizon. Ok ça ne changera rien. Ils continueront à tout détruire. A rendre ce monde chaque jour plus injuste, plus dégueulasse. En affichant toujours leurs mines satisfaites. Et les médias continueront à leur servir la soupe tout en fustigeant les « casseurs » et les « black blocs ». Non seulement ça ne changera rien mais il y aura des blessés, des personnes tabassées, arrêtées, des amendes, des gardes à vue. Des centaines de lacrymos viendront nous pourrir les bronches et autant de grenades prétendues de désencerclement blesseront aveuglément. Ils sont là pour terroriser, masqués, armés, motorisés, bénéficiant d’une impunité totale, ils ont les pleins pouvoirs et ils le savent. Sans eux, il y a longtemps qu’Élysée, Sénat et autre Assemblée nationale seraient en cendres. Ok je sais tout ça et celles et ceux qui sont avec moi le savent aussi. On connaît le coût de l’inutile et des batailles perdues. Oui mais.

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Tu ne regrettes pas ?

Tu ne regrettes pas ? elle demande. Qu’est-ce que tu veux répondre à ça ? Comment ne pas tomber dans la banalité et les lieux communs ? Se vautrer dans les formules toutes faites ? Je n’ai jamais ce genre de discussion, avec personne. Je ne parle jamais de ce que je ressens, de ce que j’espère, de ce que je regrette. De mes envies. De mes peurs. Aussi loin que je me souvienne, mais j’ai tendance à oublier facilement, je n’ai jamais eu ce type de discussion. Je reste à la surface. Le plus possible. Les maladies des enfant et leurs résultats scolaires, la bêtise crasse des politiques, la laideur de l’architecture contemporaine, le retour des vinyles à la Fnac. Je peux parler cinéma aussi. Ou littérature. Musique. A vingt ans, je ne savais pas parler et j’ai appris. Par contre les discussions sur la vie, le passé, l’avenir et toutes ces sortes de choses, c’est pas mon truc. Je n’aime pas spécialement ma vie et j’aime encore moins en parler. Je ne vais pas me plaindre quand même, je ne suis pas tombé si bas… Je sors un truc bateau même si j’essaye d’être un minimum sincère, je lui dois bien ça. Je crois. Je ne lui dois rien. Depuis le temps. Vingt-cinq ans. C’est de l’histoire ancienne. Je suis content de la voir bien sûr. Je suis heureux d’entendre sa voix. De suivre ses mains lorsqu’elle allume une autre cigarette et ses yeux sont toujours aussi beaux mais ça reste quand même un vieux truc qu’on fait remonter à la surface tous les six mois parce que ça nous occupe et ça nous fait un peu plaisir sauf que ça n’a rien de vraiment réel, rien qui compte dans nos petites vies respectives d’aujourd’hui. Et ça nous va très bien comme ça. Je crois.

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Camping, 197.-198.

Où les parents trouvent-ils l’adresse ? Le guide Michelin de la région sans doute. Volumes à couverture verte, fins et hauts, sept ou huit se trouvent dans la bibliothèque familiale à côté des livres de poche. La réservation se fait par courrier ou par téléphone mais le téléphone est plus cher. Le courrier permet de verser les arrhes, enfin j’imagine. Les enfants que nous sommes ne savent pas comment ça marche, ne connaissent pas le mot arrhes, les tarifs, ne posent pas de questions, on ne leur demande pas non plus leur avis. Les parents nous disent où nous allons et de quand à quand, enfin je crois. Ils ne nous montrent pas où c’est sur la carte, ni ce qu’il y a autour. Nous allons au camping au bord de la mer, ça nous suffit. Nous sommes d’une classe et d’une époque où les enfants suivent sans poser de question. Cap Breton ce doit être en Bretagne et aux Sables d’Olonne il doit y avoir du sable et Fécamp peut bien être n’importe en bord de mer ou d’océan.

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de la mort

Rappel : le « je » de ces textes, ce n’est pas moi ; c’est parfois moi en pire ou en exagéré, rien de plus – merci.

Je compte bien vivre encore un peu. J’ai des envies, de projets. Des lieux où me rendre et des personnes avec qui refaire le monde jusque tôt le matin. Des forêts et des rivages où me perdre. Tous ces livres à lire et à relire. Apprendre quelques poèmes, écrire d’autres textes. Oui j’ai encore de quoi faire. Et il y a le gamin bien sûr. Même si j’ai déjà plusieurs fois essayé de lui expliquer que je lui avais transmis tout ce que j’avais à lui transmettre, j’ai envie de le voir grandir, devenir un homme, j’ai hâte de le voir se casser la gueule et se relever. Il y a du boulot encore, ce n’est pas fini.

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Les samedis en jaune – 1

C’était génial les premières semaines. J’attendais ça depuis longtemps. Ce parfum d’insurrection dans les rues. Ces colères multiples qui débordent et envahissent les prétendus beaux quartiers, jamais je ne me suis autant promené dans ces arrondissements là. Enfin détruire. Détruire le rituel absurde et inutile des manifestations syndicales déjà, avec ou sans cortège de tête. Pas de parcours, pas de déclaration en préfecture, pas de service d’ordre, pas de mégaphone et même pas de slogans. La Marseillaise souvent mais rien de plus. Les slogans mettront du temps à venir et seront ensuite répétés en boucle par un nombre de plus en plus réduit de personnes, « Emmanuel Macron, la tête de con, on vient te chercher chez toi » et autres « On est là, on est là, même si Macron veut pas nous on est là » et la question braillée « Gilets jaunes, quel est votre métier ? » avant que de répondre « Ahou, ahou, ahou ». Détruire un rituel puis en créer de nouveaux…

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Sur zone, Bure (2017-2018) – 1

Il n’est pas impossible que je parvienne un jour à boucler cette espèce de roman commencé il y a plus d’un an. Ce qui suit est une version provisoire de l’ « introduction ». À suivre, peut-être. Mais si je termine ce truc, malgré la fatigue et la paresse, j’essayerai d’en diffuser une version papier – je n’aime pas les écrans, je n’aime pas lire sur écran, ce blog est une contradiction en actes et lorsque j’assume moins bien mes contradictions que d’habitude, ce blog reste inactif un plus longtemps qu’accoutumé. Bonne lecture et, comme certaines le disaient au bois Lejuc, acabisous…

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Enfance sauvage – encore

« Encore ? Encore un texte  court sur un morceau quelconque d’un obscur groupe punk qui donne max dix concerts par an et que personne ou presque ne connaît ? Il n’y a pas d’autres sujets plus importants ? Je ne sais pas, le bastion social, l’extrême-droite au Brésil, la loi anti black bloc, les morts aux frontières, la forêt de Romainville, Bure, tu as l’embarras du choix je trouve, ce n’est pas un peu facile de rabâcher sans cesse les mêmes obsessions minuscules ? l’écriture, l’alcool, les fantômes, le punk, tu tournes en rond je trouve… »

Je ne choisis pas ce que j’écris. Je prends une feuille ou l’ordi et j’aligne des phrases. Je les enchaîne, je les supprime, je les laisse reposer, j’essaye de savoir si ça tient la route et si j’ai l’impression que c’est le cas, mais je peux me tromper, ce n’est pas très grave, si j’ai l’impression que ça tient la route donc, je publie. Sinon je jette. Je contrôle à peu près mon emploi du temps et ma consommation d’alcool, c’est déjà pas mal.

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