Printemps – été 2016, lexique – deuxième partie

Ceci est un prolongement. Une première tentative a été mise en ligne ici-même en décembre dernier. Les plus fidèles de ce blog remarqueront que l’entrée 1 mai 2016 fait ici une nouvelle apparition. Je n’en ai pas fini avec ce printemps, je n’en ai pas fini avec ce mouvement et ce qu’il a réveillé, révélé et créé. Je ne compte pas m’arrêter de lutter, je ne compte pas arrêter d’écrire. A mon rythme et sans toujours y croire. Parfois je fatigue. Je doute trop pour être vraiment efficace mais ce n’est pas très grave et puis, il n’y a plus rien d’autre à faire je crois.

1 mai 2016
Dans l’album Violence des Dead Boobs sorti en juillet 2015, la chanson Merguez et CGT fournit un tableau drôle et cynique de ce rite vide de sens : des cégétistes abrutis se beurrent à la bière dans une odeur de friture dégueulasse. C’est laid, ça pue la bière de base et la viande reconstituée, ça ne sert à rien, la musique crachée par les hauts parleurs des camionnettes est atroce, ces abrutis sont contents de se retrouver dans la rue et tout le monde s’en contrefiche et tout le monde a bien raison. Certes, il y a le défilé de la CNT le matin mais je ne suis pas plus à l’aise avec les gilets rouges réactionnaires qu’avec les blousons noirs virilistes. Je n’ai rien contre la CNT, je serais même plutôt sympathisant. Mais, outre les vieilles scies sur la guerre d’Espagne qui me fatiguaient déjà en 1996, le caractère mâle, nous on casse du skin tu vois, plus le manque d’humour, c’est trop pour moi… Et qu’en 2016 à un concert de soutien à DefCol au 33 rue des Vignoles, un abruti puisse gueuler à poil quand des femmes jouent sur scène – les excellentes Mme Ex dont je reparlerai un jour, dès qu’elles sortent de nouveaux morceaux – sans que personne ne réagisse me consterne. Bref. Tout ça pour dire que les manifs en général et celle du premier mai en particulier, ce n’était plus mon truc depuis… depuis décembre 1995. Vingt ans. Ça bouge en 20 ans. En 1995, ça pétait en fin de manif. Pour éviter les lacrymos et/ou les coups, il suffisait de partir sagement une fois arrivé à destination. En 1995, on ne voyait pas les flics – c’est un terme générique, ajoutez les CRS, les gendarmes mobiles, la garde nationale, ce que vous voudrez – le long du cortège. Et avant le premier mai 2016, j’ai compris que les manifs avaient changé le dimanche 29 novembre 2015 place de la République à Paris. Il était maintenant possible en France d’être cernés de flics avant même le moindre accroc. Ces ordures de socialistes ont su tirer profit des attentats, on ne peut pas leur ôter ça. Et lorsque ces ahuris ont nassé le cortège de tête à hauteur de l’hôpital Saint-Antoine pendant plus de 40 minutes, j’étais furieux, ma femme était furieuse, mon gosse gueulait ACAB et les gentils et gentilles retraité.e.s autour de nous gueulaient la même chose et merci Hollande, Valls, Cazeneuve, Cadot, merci à vous, la manif du premier mai a grâce à vous retrouvé son rôle : lutter contre le pouvoir des classes dirigeantes dont vous étiez à ce moment les représentants lamentables. Et j’en suis certain, le premier mai 2017 va être déter. Et oui, pendant que j’y suis, ne comptez pas sur nous pour refaire l’erreur de 2002 – où je n’ai pas non plus défilé le premier mai, consterné par l’union sacrée autour de cette crapule de Chirac et la bêtise collective poussant à meugler La Marseillaise en agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge, « pour ne pas les laisser à Le Pen » disaient-elles et ils. Cette année, si comme je le souhaite aucun abruti du parti « socialiste » n’est au deuxième tour de la farce présidentielle, nous ferons la fête tout en préparant les luttes à venir et les vitres des banques, et les panneaux publicitaires, et les merdeuses autolib de Bolloré exploseront les unes après les autres au son des grenades, des flashballs et des lacrymos et le premier mai 2017, nous ne nous ferons pas avoir comme en 2016 j’espère. Nous serons plus malignes et malins. Nous serons plus violent.e.s aussi. J’espère.

Amitiés
Ce n’était pas prévu. C’était un combat politique classique : pétition, manifestation, grève. Lire la presse bourgeoise, écouter les radios gouvernementales et dans les deux cas, s’énerver. Collectionner les tracts mal écrits et mal imprimés, crier des slogans idiots. Du classique. Du déjà vu, déjà connu. Mais ça a duré longtemps, mais il y a eu ces assemblées à République et dans les quartiers, mais il y a eu x manifestations en cortège de tête, et les rencontres se sont multipliées. On retrouvait manif après action les mêmes corps, les mêmes énergies, on se parlait, on s’échangeait nos contacts en souriant, on luttait tout en tissant des amitiés dans toute la France. Ce n’était pas prévu. Ça n’a pas cessé de s’enrichir depuis. Hormis ma femme et mon fils, les personnes avec lesquelles je passe le plus de temps aujourd’hui, je n’en connaissais aucune en janvier 2016.

Cortège de tête
C’était beau de le voir manif après manif prendre force et ampleur. C’était beau d’apercevoir les syndicats de plus en plus loin, derrière. Avant de les perdre complètement de vue. J’ai fait des dizaines d’heures de manif sans entendre une seule chanson de merde, c’est dire si les camions étaient loin. C’était touchant de voir les plus aguerri.e.s prendre en charge les novices. Important d’avoir les poches pleines de sérum phy, de filer des masques, des foulards. On se préparait comme pour une expédition, on relisait les consignes de DefCol et les flyers d’autodéfense populaire qui circulaient un peu partout. On se préparait. Noir de la tête au pied et masque de plongée ou lunettes de piscine. Aucun signe distinctif apparent. Ce qui m’a touché, c’était le mélange des âges, des styles, le brassage formidable qui ne cessait de grandir. Les slogans y étaient plus drôles et rageurs, les banderoles plus fortes, les regards plus déterminés, le cortège de tête rassemblait toutes celles et ceux qui refusaient de suivre, que ce soit les consignes de la préfecture ou celles des syndicats. Mais il ne peut exister sans le cortège de queue. Après le 15 septembre, le cortège de tête s’est dispersé. Il se reconstitue parfois, à des échelles moindres, comme le 26 octobre 2016 à Ménilmontant pour les 2 ans de la mort de Rémi Fraisse, rassemblement, cantine, prises de parole puis 600 personnes partent en sauvage jusque République, et c’est beau. Le cortège de tête me manque et j’attends les prochaines grosses manifs avec impatience. Car il est évident que toutes celles et ceux qui ont vécu l’atmosphère du cortège de tête ne sont pas prêt.e.s de retourner défiler comme avant.

Défaite
Nous avons perdu. La loi a été votée. Les condamnations à de la prison ferme continuent à tomber. L’état d’urgence est prolongé une fois encore. Nous avons perdu. Nuit debout n’occupe plus aucune place et ce qui porte encore ce nom est tellement groupusculaire qu’il n’est guère utile d’en parler. Et je connais des personnes qui ont manifesté, qui ont participé aux assemblées, qui ont fait grève et qui sont allées voter aux primaires de droite – pour barrer la route à Sarkozy disaient-ils et elles – et qui se demandent pour qui ils et elles vont voter aux primaires de gauche – pour barrer la route à Valls disent-ils et elles – et c’est peut-être là que se mesure l’étendue de notre défaite. Que des personnes qui ont lutté à nos côtés puissent encore croire que voter bidule ou machin peut changer quoi que ce soit prouve que nous n’avons pas fait notre travail correctement. Et début août, j’ai eu un coup de blues terrible où j’imaginais la loi travail appliquée, le mouvement qui ne reprend pas, l’état d’urgence qui dure encore, Calais rasé et la ZAD évacuée. La ZAD tient. La ZAD tient encore et toujours. Nous avons perdu mais il nous reste quelques belles luttes à mener encore. Qu’ils et elles aillent voter, qu’ils et elles écoutent les sondages et continuent bêtement à voter pour le moins pire qui de toute façon fera de la merde, ce n’est pas grave, nous sommes minoritaires et le resterons. Nous partons perdants c’est vrai, mais il reste quelques jolies zones d’autonomie temporaire à défendre.

Nuit debout Paris République
C’est compliqué. Je n’ai jamais vécu un truc pareil. Je ne sais pas par où commencer. Par le début. Je n’entends pas parler de la loi travail en mars. Je n’entends pas parler de l’appel à ne pas rentrer chez nous le 31 mars. Je n’ai pas vu Merci patron ! je n’ai jamais ouvert un seul numéro de Fakir. Je ne lis pas la presse, je n’écoute pas la radio. Je ne suis rien de ce qui se passe, que ce soit en France ou dans le monde, je refuse de perdre mon temps à suivre l’actualité comme on dit, je préfère lire des essais, des livres d’histoire et des romans, je préfère la littérature. C’était le 8 avril 2016 à Paris, avec ma femme et mon fils, nous sommes allés à République assister à une assemblée générale – on dira très vite une AG – de Nuit debout et je ne sais plus pourquoi on y est allé et je n’en attendais ni n’en espérais rien. Je ne savais pas ce que j’allais voir. On s’est assis, on a écouté. Il faisait beau. J’écoutais, je regardais, je ne comprenais pas ce que je voyais, le monde, les signes, je trouvais ça puissant, génial, je crois que j’ai pleuré, j’ai beaucoup pleuré à République depuis le 13 novembre 2015 mais là, c’étaient des larmes de joie, d’espoir. Enfin ça revivait. Les gens parlaient, les gens s’écoutaient. Et ils et elles voulaient changer le monde et il était temps, et ça faisait du bien. Mon gamin était sur mes genoux, il n’en revenait pas, il avait un sourire banane, même si je pense qu’il ne comprenait pas le quart des interventions. Certaines interventions sont touchantes, d’autres sont embarrassantes ou ridicules mais les gens parlent, écoutent et respectent et c’est jouissif de vivre ça. On reste deux ou trois heures. On se ballade sur les stands des commissions, on écoute, on regarde, on se montre des slogans, des pancartes. On rentre dans la bulle. C’est mon premier souvenir. Le 8 avril, je me réveille. Enfin.

J’y passe quatre à cinq fois par semaine. Parfois une demi-heure parfois trois heures, ça dépend du temps, de mon énergie, de ma patience. Je retrouve régulièrement V* une collègue de boulot. J’y suis souvent avec femme et enfant. Lorsque ma jeune nièce vient passer quelques jours à Paris pendant les vacances, je l’y traine tous les soirs. C’est important d’être là, c’est important de vivre ça. Je n’assiste qu’à l’AG. La journée je bosse, les commissions c’est difficile. C’est de plus en plus lourdaud et prévisible, les signes perdent peu à peu du terrain au profit de bêtes applaudissements et sifflets mais je ne peux m’empêcher de m’y accrocher. J’envisage à un moment de m’investir davantage, d’aller proposer mes services à l’accueil, à la logistique ou à l’infirmerie, je n’oserai pas le faire. Je m’investirai à la place dans les nuit debout de quartier qui se montent près de chez moi.

Au mois de mai, ça se dégrade à République. Ça plane un peu. Les interventions sur la sixième constitution et le mandat impératif m’arrachent tantôt des baillements tantôt des éclats de rire nerveux. Le débat idiot « violence – flics – casseurs » prend de plus en plus de place et m’horripile. Nuit debout est fini, s’est déplacé ailleurs – dans le cortège de tête, dans les assemblées de quartier, dans l’AG Inter Pro et ailleurs encore, dans tous les réseaux qui se sont créés sur cette place en avril et qui sont partis bosser – mais je n’ai pas envie de l’admettre, c’est fragile l’espoir, on vient de tellement loin que sans m’en apercevoir, je m’accroche et je m’accrocherai jusqu’en septembre lorsque je participerai au week-end de rentrée, lorsque j’irai à des réunions nuit debout Île-de-France censées nous coordonner et là j’arrêterai pour de bon. Mon dernier souvenir d’échanges à Répu c’est une réunion en septembre où nous sommes 5 ou 6 venu.e.s d’assemblées de quartier du nord est parisien et ils et elles sont quinze de « Nuit debout République » et l’une de ces ahuries propose qu’à la manif du 15 septembre, on soit en blanc pour isoler les « casseurs » et condamner la violence et un ahuri se lance dans une diatribe de 5 minutes contre la violence qui fait le jeu de l’État et de la répression et ensuite, heureusement, et ça me fait sourire, les 5 ou 6 collègues du nord-est parisien expliquent l’une après l’autre qu’elles et ils ne condamnent aucun mode d’action et surtout qu’on n’est pas ici pour venir écouter la bonne parole de Répu… Le type qui organise la réunion me recontactera en novembre, je ne donnerai pas suite.

Nuit debout Paris République s’est auto-détruit le 18 mai. Je vais à Répu avec Isabelle, les flics ne nous laissent pas passer. Le rassemblement d’Urgence notre police assassine a été interdit le matin même, les ordures d’Alliance occupent la place. Nous passons un peu plus loin. Et la suite est connue, nasse d’un côté, manif sauvage de l’autre et une bagnole de flics crame. Et le soir même, ces petit.e.s con.ne.s de Nuit debout Paris République publie l’un de leurs rares communiqués de presse pour rappeler que Nuit debout n’a pas appelé au contre-rassemblement. Les ordures. Aujourd’hui encore, 13 janvier 2017, un vendredi soir dans un Rouen-Paris bondé, ça m’énerve d’y repenser… L’intérêt de ce bidule informe et bavard, c’était de mêler tout le monde en un joyeux bordel. Les autonomes, les antispécistes, les féministes, les groupuscules marxistes, les syndicalistes de base et tout ce que la région parisienne pouvait compter de personnes en ayant ras le bol des structures militantes traditionnelles. C’était le mélange l’intérêt. À partir du moment où ces ahuri.e.s déclarent publiquement, oh c’est pas bien la violence, c’est pas nous, nous on veut dialoguer avec les flics, gna gna gna, qu’elles et ils crèvent en rédigeant des textes tous plus consensuels et mous les uns que les autres.

C’est compliqué Nuit debout parce que j’ai envie d’apporter mes compétences et je ne suis que chercheur, ça ne fait pas de compétences très utiles. Je m’occupe du wiki un temps, crée des événement facebook et openagenda. Je tente des bricoles de recherche action, je me dis ensuite que je fais de la participation observante mais bon. C’est compliqué parce que je reste toujours un peu extérieur. Je note comment nous occupons l’espace. La liste du matériel. Je dessine des croquis, prends des photos. Je note les thèmes abordés et tente de délimiter des empreintes spatiales. Je fais des entretiens pour connaître certains parcours. J’essaye d’apporter ce que je sais faire, de la recherche et sans trop savoir comment me poser. Ce qui est sûr, c’est que j’ai lu beaucoup sur Nuit debout et j’ai lu beaucoup d’âneries et il va y avoir du taf pour essayer de ramener une petite part de vérité là-dedans.

Père de famille
J’ai peur des flics en civil, j’ai peur des CRS, j’ai peur des grenades et des tirs de flash-ball. J’évite le contact et prends la tangente dès que ça commence à chauffer. Mais comme aujourd’hui, ça chauffe dès le départ et que je tiens à manifester et que j’ai plein d’ami.e.s autour de moi, on se protège et je m’habitue. Il y a 20 ans, j’allais au contact et un soir de décembre 1995, je me suis fait choper par deux flics en civil, menotté, embarqué dans une bagnole, coincé à l’arrière entre deux fonctionnaires qui m’envoyaient des pains et j’ai eu peur d’y rester et depuis, j’avoue, je ne suis pas d’une témérité folle. Ça va mieux ceci dit, je me rappelle une manif de sans pap’ en 1996 où dès que les CRS se sont pointés, je me suis mis à trembler comme une feuille. Bref. J’ai peur des flics mais je suis du cortège de tête, c’est là ma place. Et si je vais en manif avec femme et enfant, nous sommes du cortège de tête. Et bien évidemment, je flippe trois fois plus. À la limite, s’il m’arrive une merde, ce n’est pas très grave, mais s’il arrivait une merde à mon fils, ce serait insupportable. Alors j’observe, je surveille, je suis aux aguets et avec le gamin, les consignes sont claires. Tu restes à côté de moi, tout le temps et si je prends ta main, tu me suis sans discuter. So far so good, il ne nous est rien arrivé. Mais si j’ai peur, pourquoi l’emmener ? Parce que c’est important de comprendre tôt ce que sont les flics et ce qu’ils sont capables de faire. Ce que sont les SO. Ce qu’est le black bloc. C’est de l’éducation civique. Tout comme je l’ai emmené à la Manif pour tous – on n’est pas resté très longtemps…

Slogans
C’est souvent pathétique les slogans. Une femme a raconté avoir entendu en passant près de la CGT le 14 juin « Hollande, c’est pas les salariés, c’est Julie [Gayet] qu’il faut baiser ». Oui, ça pique un peu.. Les slogans, bof. Et les pires, ce sont quand même les anars qui gueulent les mêmes depuis des décennies du type « Police partout, justice nulle part ». Ou la chanson consternante de la CNT « Tout est à nous, rien n’est à eux etc. etc. ». Ce n’était pas forcément mieux ce printemps. C’est une sélection arbitraire, je n’ai pas pris de notes là-dessus…
Le tube : « Tout le monde déteste la police » et ses variantes innombrables « La police déteste tout le monde », « Tout le monde déteste les socialistes » et, entendu à un concert des Mde Ex (oui, encore) rue des Vignoles le 26 novembre 2016, « Tout le monde déteste la fin du concert ». Et même si j’aime bien Hazan, je ne l’ai pas suivi quand il a critiqué ce slogan, expliquant en substance qu’on ne ferait pas la révolution sans qu’une part des forces de répression ne retourne leurs armes vers le pouvoir. Sauf qu’on ne cherchait pas et qu’on ne cherchait toujours pas à prendre le pouvoir.
Les déter : « Ah anti anticapitalistes », « Paris, debout, soulève toi », décliné selon les lieux « Belleville debout », « Ménil debout » etc., « Aou Aou Aou »
La scie : c’était terrible. Le rythme était de plus en plus rapide et après tu l’avais en tête jusqu’au soir et même aujourd’hui il m’arrive de le fredonner et je me dis, putain, « Avec la loi El Khomri, el Khomri, el Khomri, on s’ra précaire toute not’ vie, toute not’ vie, toute not’ vie, ça ne peut plus durer, allez allez allez ». Et ça pouvait durer longtemps et ça filait la pêche, c’était bien.
Et pour le plaisir, et parce que c’est la matrice des luttes actuelles, ces quelques slogans entendus à Notre-Dame des Landes alors que mon fils et moi marchions avec les Bure à cuire, le 8 octobre 2016 : « Vinci / dégage / résistance et sabotage », « le kérosène, c’est pas pour les avions, c’est pour brûler les flics et les patrons », « hangar, debout, soulève-toi », « grève, bocage, manif sauvage », « ne nous regardez pas, rejoignez nous » (tout en marchant dans le bocage entouré de près à vaches…) et ce cri du cœur dadaïste, « il n’y aura jamais d’aéroport à Bure ! ».

SO
C’était le 12 mai et j’avais suivi deux jeunes aux Beaux Arts où une occupation était prévue, occupation qui n’a pas duré (voir le beau documentaire intitulé Récit de l’occupation des Beaux-Arts de Paris) et je n’y avais pas mis les pieds depuis une réunion hebdomadaire d’Act-Up Paris en 1996 ? 1997 ? bref et je papotais de la manif et un jeune m’a dit qu’il fallait quand même faire quelque chose par rapport aux services d’ordre des syndicats.
– Pourquoi ?
– Vers Invalides, ils ont chargé le black bloc, on avait l’impression qu’ils étaient du côté des flics.
– Oui, et alors ?
– Et alors, c’est pas normal, faut qu’on en parle aux syndicats. Et je me suis dit 1. je vais être obligé de jouer le vieux con et 2. la mémoire des luttes se transmet mal – ce que j’avais déjà noté des dizaines de fois lorsque je constatais que les trentenaires engagé.e.s dans la lutte n’avaient jamais entendu parler d’Act-Up qui me semblait pourtant un modèle évident d’activisme et de désobéissance civile. Et je lui ai donc rappelé que les SO syndicaux ont toujours été des auxiliaires des flics, qu’ils étaient là pour séparer les syndiqués des autonomes. Je lui ai rappelé que le 28 avril 2016 à Nation, un mur de brassards rouges de la CGT faisait barrage entre les black bloc qui se fritaient avec les CRS et les « vrais manifestants » comme le dirait peu après cette ordure de Martinez. Et quand j’avais emmené femme et enfant à travers le mur, que le type m’a dit je vous déconseille d’aller par là, j’ai juste répondu je n’écoute jamais les SO. Et on était passé. Et ma femme non plus n’avait pas compris, j’avais dû lui expliquer. Qu’en décembre 95 par exemple, plusieurs autonomes avaient été agressés par des membres de SO – de la CGT notamment – et filé aux flics. J’ai joué le vieux con, j’ai expliqué patiemment que c’était de l’histoire ancienne, que les SO des syndicats fallait s’en méfier autant que de la BAC, je ne sais pas s’il m’a cru, on a papoté de choses et d’autres, il faisait bon, des jeunes et moins jeunes arrivaient par grappes de 3 ou 4 et comme l’AG prévue tardait à démarrer et que j’avais envie de me poser, je suis rentré chez moi.

Paris, décembre 2016 – janvier 2017

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