L’ouverture
Je ne regarde pas à demain. Février 2000. Je ne regarde pas à grand-chose. Le froid acide. Sec. La fatigue. La fatigue est mon alliée. Je ne regarde pas. À quoi ça servirait ? Le temps est une denrée précieuse, les parents me l’ont souvent répété. Je regarde quelqu’un, je ne regarde qu’elle.
La jeune fille s’endort chez moi et je ne demande rien d’autre, je suis comblé presque. L’observer dormir, toute reposée. En silence. Noter la bouche entrouverte, le corps alangui. Pure élégance et je n’ironise pas. Noter les détails. Les ombres cutanées, les plis inhabituels. Les poids se répartissent différemment en nocturne. Échappent à la banalité. Aux leçons de maintien. Apprendre son corps par cœur. Pouvoir la dessiner les yeux fermés, la peindre. Ses jambes sont superbes nues et elle n’a pas fini son verre. Whisky pamplemousse, comme moi. Recouvrir d’un blouson ses jambes. Enregistrer les images afin de plus tard s’en servir. Recycler. On ne sait jamais, on ne peut jamais savoir, et nous ne vivions qu’au présent. Garder des traces. Tout s’achevait tellement vite alors. Mais nous ne le savions pas. La regarder ému. La regarder jusqu’à ne plus rien voir. Accommoder la vision fatigue, j’ai un verre à terminer d’abord. Plus le sien. J’ai l’habitude, elle s’endort souvent avant moi. Elle se soigne davantage. Quels que soient les rêves de la jeune fille endormie je l’aime plus que ma vie et mes bières. Mes alcools divers. Mes Gauloises roulées main. Mes accès d’inutile cafard. La regarder. Ne respirer que son odeur. Je ne la toucherai pas, je la respecte trop. Parce que je l’aime sans doute. Ce verbe est trop con, je l’aime à ma façon et le reste n’a aucune importance. Et aussi je préfère les garçons. Je ne regarde pas à demain, je regarde par la fenêtre maintenant.
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