[dévier les trajectoires #9 est terminé. il faut juste que je prenne le temps de l’imprimer, de le relire, de corriger les coquilles, de mettre les copies sous enveloppe. je suis lent. dévier les trajectoires #9 se termine par ce texte.]
C’était un joli film kosovar et des films kosovars, je ne pense pas en avoir vus beaucoup dans ma vie, j’ai beau aller au cinéma deux à quatre fois par semaine, les films kosovars ne courent pas les rues, du roumain tant que tu veux, du sud-coréen ou du japonais plus encore mais du kosovar, clairement non et mon fils a bien aimé aussi et alors que nous rentrons tranquillement à pied vers le nord-est, il me demande si ça m’est déjà arrivé d’être perdu comme l’étaient les deux jeunes héroïnes du joli film kosovar – Notre monde mais ça aurait pu s’appeler Un monde sans pitié. Je réfléchis un peu avant de dire non, pas vraiment et c’est fou quand même de pouvoir mentir de manière aussi éhontée. Je suis sincère, c’est juste que fin décembre 1995 et le deuxième semestre 1996, je n’y pense jamais et je n’en parle jamais, je refuse d’y retourner. Il n’y a plus guère de trace.
Le bouclage a été plus long que prévu… Bonne lecture
Tours 2 (juin 2023 / avril 2024) – Ovules (décembre 2023) – Past lives (décembre 2023) – Relations humaines (décembre 2023 / avril 2024) – (sans titre), décembre 2023 – Trois ans fois deux (juin 2023 / avril 2024)
Des vœux ? Non, quelle drôle d’idée… Un calendrier de l’avent écrit pour mon fils et légèrement retravaillé où il est question de cinéma. Sur ce, je retourne boucler le prochain dévier les trajectoires…
Contrairement à ce que j’écrivais ici il y a quelques mois, ce blog invisible continue. Mon fils a gentiment insisté ; j’ai payé le nom de domaine pour deux années de plus. Je ne poste plus de billets de blog, dévier les trajectoires continue sous sa forme de numéro à peu près trimestriel. Si vous souhaitez recevoir l’exemplaire papier, vous laissez votre adresse en commentaire – elle ne sera évidemment pas publiée. La version pdf est disponible au téléchargement quelques semaines plus tard.
Bonjour à toi lecteur ou lectrice venue de je ne sais où. J’espère que tu vas bien. Message rapide pour t’informer que ce blog disparaitra en août prochain. Et que l’expérience dévier les trajectoires papier s’arrête faute de lecteur et de lectrice – merci aux quatre personnes ayant laissé leur adresse, j’espère que recevoir ces bricoles dans vos boîtes aux lettres vous a plu.
Je continuerai à écrire, c’est une habitude difficile à perdre. Mais je n’ai pas spécialement besoin ni même envie d’être lu. A vingt ans, à trente ans, je voulais être écrivain. Je n’ai pas réussi et ce n’est pas très grave.
C’est plutôt tranquille d’approcher les 50, je ne me voyais pas durer si longtemps. Je manquais d’imagination. Si tu m’avais dit ça à 20 ans, je ne t’aurais pas crue mais à 20 ans, tu ne m’aurais pas adressé la parole tu sais, je ne laissais personne m’approcher alors, je ne laissais personne me parler, me toucher et je n’osais rien, je voulais mourir et tout était douloureux, pénible… Tout ce temps perdu quand même. Tout ce que je n’ai pas su faire, tout ce que je n’ai pas su oser. Je suis un garçon lent.
vous allez bien ? vos proches aussi ? et ces vacances alors ? pas trop déçu ? j’espère que vous n’êtes pas tombé dans une de ces villes touristiques où les maires se la jouent fascistes à deux balles, et le masque il sera obligatoire dans telle et telle rue, et la plage, elle sera fermée de telle heure à telle heure, et si vous n’êtes pas sages, vous aurez des amendes et les drones vous survoleront nuit et jour et le moindre agent de sécurité aura le droit de vous verbaliser, oui. 135 euros. et au bout de quatre amendes, prison ferme. c’est une question de santé publique vous savez. ce qui est interdit. ce qui est autorisé. comme pendant la farce du confinement. ce qui est marchand est autorisé. ce qui est source de plaisir, surtout si c’est gratuit, ne l’est pas. et c’est pour votre bien alors arrêtez de chouiner, vous nous remercierez plus tard. tu parles.
Non, ceci n’est pas un texte sur Pink Floyd (private joke)…
Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que j’ai voulu ça ? Que je suis fier d’être ce que je suis devenu ? Femme, enfant, salaire et logement corrects ?… Non, évidemment non. Je n’imaginais pas ça. Je voulais être écrivain tu sais. J’ai pu fantasmer être rock star à la Cantat ou à la Nick Cave sauf que je suis moche donc écrivain ça semblait possible. Merci Bukowski, tu ne sais pas à quel point tes nouvelles ont pu m’aider. M’autoriser à rêver un futur qui ne soit pas totalement lamentable, qui soit autre que des renoncements en cascade. Ça ne s’est pas fait. Je n’ai pas su faire en sorte que cela devienne possible. Pas assez de travail. Pas assez de liens. Ce n’est pas grave. Les regrets ce n’est pas très grave. Il y a un truc quand même. Plusieurs fois dans ma vie, j’en ai chié. Je n’avais pas de quoi bouffer. Je n’avais pas de quoi m’acheter des clopes. Je fouillais les poubelles. Récupérais les mégots sur les trottoirs. J’ai raconté ça dans Adulte hôtel il me semble – je n’ai pas vérifié, je ne relis jamais les textes terminés. Et ça c’est fini. Plus jamais. Je mange à ma faim, je fume et bois trop et je paye les vacances à la famille et je n’ai plus à surveiller mon compte en banque. Je ne suis pas libre, non. Je ne suis pas écrivain. Je ne suis évidemment pas rock star. Je suis un type sans importance pour qui le fric n’est plus un problème parce que j’ai gardé mes habitudes de pauvre. Et, finalement, ce n’est pas si mal tu sais.
C’était début 1996 à la fnac de la défense, je ne sais pas si elle existe encore, je n’ai pas mis les pieds là-bas depuis des années et il faut dire aussi que dans les années 90, la fnac c’était chouette, on pouvait se poser et lire toutes les bd qu’on voulait, les vieux classiques du rock, du Velvet à Neil Young, n’étaient pas très chers en cd, ça faisait partie des destinations culturo-commerciales habituelles les fnac à Paris. ça a changé. J’ai perdu l’habitude. Je préfère maintenant les librairies et les disquaires, les vrais. La fnac j’y retourne tous les deux-trois ans pour observer. Je n’y achète rien. A l’entrée, les premiers objets à vendre sont des casques audio et des cafetières à capsules. Et il y a masse de vinyles dans les rayons à des tarifs souvent délirants, et que ceux qui gèrent le catalogue des Beatles aillent se faire rôtir à feu doux en enfer…
C’était début 1996 et le premier album solo de Serge Teyssot-Gay avait eu droit à une critique élogieuse dans l’un des derniers Inrocks ancienne formule – bimestriel, noir & blanc. Je n’avais pas de quoi bouffer et je voulais ce disque. Je suis allé à la fnac de la défense et je l’ai trouvé en rayon, je l’ai pris, j’ai regardé les bouquins puis je me suis dirigé vers la sortie Silence radio à la main. Deux types – des noirs, déjà à l’époque – m’ont demandé de les suivre dans un petit local sans fenêtre, bardé d’écrans de vidéo-surveillance et en liaison directe avec les flics. J’ai dit que j’étais ailleurs, que j’avais pas fait gaffe, que j’avais de quoi payer. Ils m’ont cru je pense, j’avais l’air perdu, je puais, je n’avais pas mangé depuis deux ou trois jours alors ils ont contrôlé ma pièce d’identité, j’ai payé le cd et j’ai pu partir et dans mes dix mètres carrés dégueulasses, je n’avais plus de quoi écouter de la musique évidemment. J’attendrai quelques mois avant de l’écouter ce disque. D’être impressionné par la cohésion de l’ensemble. Par sa brutalité froide. Ce type m’a toujours paru être le plus intéressant dans Noir Désir. Le plus radical. Ce qu’il confirmerait une poignée d’années plus tard avec l’extraordinaire On croit qu’on s’en est sorti.
C’était début 1996. Mi 96, j’ai bradé tous mes disques histoire de pouvoir m’acheter du tabac et des pâtes. Silence radio n’a pas trouvé preneur. Début 2000, j’ai à nouveau bradé disques et livres et pareil, Silence radio m’est resté. Je l’écoute encore de temps à autre. J’aime l’objet, le graphisme, l’alternance de morceaux faussement calmes et de morceaux enragés. Je continue à le suivre, d’Interzone à Zone libre, et la dernière fois que j’ai croisé Serge Teyssot-Gay je revenais du karaté et j’attendais au feu rue de Ménilmontant, il est passé en vélo devant moi tout de noir vêtu et j’étais à deux doigts de le remercier pour tout mais je n’ai pas osé le déranger, il lui restait quelques bonnes centaines de mètres à grimper encore.
Saint-Aygulf, décembre 2019
NB : pourquoi écrire aujourd’hui sur un album paru il y a 25 ans ? parce qu’à l’époque j’étais jeune et désespéré alors qu’aujourd’hui je ne suis plus jeune ? parce que les émotions étaient plus intenses alors, surtout le ventre vide ?… mais pourquoi écrire déjà ? pourquoi continuer ? il n’y a pas de projet, il n’y a pas de message. juste l’envie parfois d’exprimer ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé année après année. merci à vous & à la prochaine. portez-vous bien.