Je ne sais pas garder mes amis, mes amies, mes amantes. Je ne sais pas non plus garder mes livres – j’ai acheté au moins 5 fois Last exit to Brooklyn et il manque toujours à ma bibliothèque. J’ai dû deux fois déjà revendre tous mes disques et seules les raretés sont restées en ma possession. Je garde peu, j’oublie beaucoup. C’est comme les noms de lieux, les étapes de mes voyages ou les endroits où j’ai pu bosser il y a dix ou vingt ans. Je laisse partir et passe à autre chose. Le passé m’intéresse peu.
Les deux messages sont arrivés la même semaine. Un mail de Christophe, une lettre de Clarisse. Ils m’ont connu entre seize et vingt ans. Je me rappelle cette période. J’y tenais chaque soir un journal détaillé. Je le relis une fois tous les dix ans et à chaque fois, je me demande comment j’ai pu tenir le coup, pourquoi je ne me suis pas fichu en l’air… J’ai détesté cette période et ne l’utilise même pas pour mes fictions. J’ai tiré un trait.
Alors quand deux fantômes de cette période se manifestent, désolé mais je m’en moque de savoir si vous allez bien, comment vous gagner votre vie, si vous êtes propriétaires ou locataires et si vous vous êtes reproduits, combien de fois et en quelle compagnie, je jette vos messages et continue mes petites routines.
Alors je sais, il semblerait que vers la quarantaine, certains et certaines se posent des questions et aient envie d’avoir des réponses, et repensent à leur passé, aux chemins empruntés, aux amis et amies oubliés et ces gens-là voudraient savoir, cherchent, j’ai entendu parler de ce phénomène. C’est comme les types qui veulent se faire des gamines pour se rassurer, se prouver qu’ils peuvent encore séduire. Oui, je lis la presse parfois. Ou j’entends la radio. J’ai même des amis qui succombent à ce genre de clichés absurdes. J’ai quarante-trois ans dans deux jours et désolé Clarisse, désolé Christophe, j’avance en brûlant les ponts, en oubliant les prénoms, et ça me va très bien, et j’espère durer ainsi quelques dizaines d’années encore.
Paris, septembre 2014