Camping, 197.-198.

Où les parents trouvent-ils l’adresse ? Le guide Michelin de la région sans doute. Volumes à couverture verte, fins et hauts, sept ou huit se trouvent dans la bibliothèque familiale à côté des livres de poche. La réservation se fait par courrier ou par téléphone mais le téléphone est plus cher. Le courrier permet de verser les arrhes, enfin j’imagine. Les enfants que nous sommes ne savent pas comment ça marche, ne connaissent pas le mot arrhes, les tarifs, ne posent pas de questions, on ne leur demande pas non plus leur avis. Les parents nous disent où nous allons et de quand à quand, enfin je crois. Ils ne nous montrent pas où c’est sur la carte, ni ce qu’il y a autour. Nous allons au camping au bord de la mer, ça nous suffit. Nous sommes d’une classe et d’une époque où les enfants suivent sans poser de question. Cap Breton ce doit être en Bretagne et aux Sables d’Olonne il doit y avoir du sable et Fécamp peut bien être n’importe en bord de mer ou d’océan.

Remplir le coffre de la 2CV6 est tout un art. Les parents préparent les valises et le matériel. La grande tente, les matelas gonflables et les sacs de couchage (on n’appelle pas ça duvet à l’époque). La glacière bleu clair. La vaisselle en plastique, rouge, verte et jaune. Le réchaud et les deux casseroles – la petite pour le petit déjeuner, la grande pour les plats chauds. Les lampes de poche et les grosses piles pour les alimenter. Les bouées et le matelas gonflable bleu dont la tête comporte un hublot transparent pour observer les poissons, enfin essayer. Le coffre est toujours plein à craquer.

Maman fait l’itinéraire à l’aide des cartes Michelin. Je ne sais plus si elle conduit, je ne me rappelle pas ma mère au volant sur les trajets des vacances, je n’ai pas d’image de mon père au volant non plus mais nous, les enfants, sommes à l’arrière, c’est sûr et c’est long, toujours. On ne prend pas l’autoroute. C’est cher, ça ne sert à rien en doche et c’est plus joli par les petites routes disent-ils. Il est possible que cela soit vrai alors, que les entrées de ville ne soient pas encore ces canyons plats d’enseignes, de hangars publicitaires, de parkings semi-déserts si ce n’est le samedi, c’est possible oui. Nous les croyons sur parole. Chargés comme nous sommes, nous ne dépasserons jamais le 80 de toute façon. Nous ne savons pas ce que c’est une autoroute. Je découvrirai ça beaucoup plus tard lors de mes voyages en Europe de l’Est avec Eurolines. Une autre histoire. Les copains me charriaient, nous avions la voiture la plus lente de la cité. La cité ce ne sont pas des HLM, les HLM sont derrière la rangée de garages et le mur, les HLM ce sont les Terres rouges et de nombreuses légendes existent à leur sujet. Trafic, violence, vol, cave. La cité, ce sont de grandes maisons d’un étage divisées en quatre grands appartements de fonction avec un morceau de jardin pour le personnel de TDF. Mon meilleur pote, son père vient de se payer une Golf GTI. On s’en fout un peu, elle est sympa la 2CV. Verte. Un cheval marron peint devant, un à l’arrière de la même couleur.

C’est long la route. C’est pareil tous les ans, dès qu’il fait jour je prends mon Piscou magazine et j’essaye de lire et très vite, j’ai la nausée et je dois arrêter. On fait la route d’une traite. On s’arrête pour boire un coup, aller aux toilettes. Je prends un Ricqlès. Virgi, de l’Orangina je crois. J’imagine que les parents choisissent café ou crème. Nous pique-niquons en bord de route. On joue à compter les voitures rouge ou jaune. Le premier qui voit ceci cela a gagné. Une vache, un cheval, ce sont surtout des animaux. Je ferai la même chose avec mon fils lors des voyages en train. Avec des animaux toujours. On joue avec les plaques d’immatriculation. Trouver des personnes dont les initiales correspondent à la plaque mais c’est super dur. Réviser les départements. Les parents discutent sans doute. Vir et moi aussi nous devons discuter à l’arrière. Pas d’autoradio, c’est bruyant la doche et c’est long la route. On s’ennuie. On essaye de dormir. On regarde les paysages, on compte les voitures qui nous doublent.

Mon père monte la tente. Il y a la chambre des parents, la chambre des enfants, le salon sous le auvent, des marrons et des oranges, les fleurs du papier peint de ma chambre ont les mêmes teintes. ça prend du temps. Nous on gonfle le matelas avec le petit gonfleur rouge, c’est rigolo. On pose les valises à côté de la tente qui peu à peu prend forme, on se met en maillot, on prend les serviettes et on va à la plage avec maman.

Pieds nus sur le sable, chaussures en plastique pour les galets. La crème solaire et les bobs. J’ai un bob Ricard récupéré je ne sais où. Une photo existe chez ma mère.

On fait les courses au retour au magasin du camping. Nous mangeons sur la petite table pliante en formica rouge, dehors s’il fait beau, sous le auvent sinon. Les tabourets pliants en toile imperméable. Maman fait les courses, le plus souvent seule, et prépare tous les repas. Elle achète des spécialités locales à la boulangerie pour le dessert. Far breton, kouign amann. Papa qui ne lit pas le journal à la maison d’habitude achète le Canard enchaîné tous les mercredis et je lui emprunte systématiquement pour regarder les dessins que je ne comprends pas ; parler politique, que ce soit entre adultes ou avec les enfants, n’est pas dans nos habitudes.

Nous marchons beaucoup s’il pleut, jouons longuement à la plage dans le cas contraire, faisons des concours de ricochets quand la matière s’y prête, ou des châteaux de sable sinon, châteaux qui s’agrandissent au fur et à mesure du séjour, gagnent en tranchées, en murailles et en tours, c’est sûr cette fois, la marée ne sera pas la plus forte et nous recommençons de jour en jour avec nos seaux, nos pelles et nos râteaux. En hiver, je peux dessiner des heures au stylo bille des scènes de bataille avec des centaines de combattants. En bord de mer, je peux construire le sable et jouer les vagues sans me lasser. Je ne pense à rien je crois. Je n’ai pas l’impression d’être heureux ou malheureux ou quoi que ce soit ; j’aime ce que je suis en train de faire et c’est suffisamment rare dans l’enfance pour m’en souvenir 40 ans après.

Le rituel dure quelques années puis cesse sans que nous sachions trop pourquoi. Nous ne partons plus en vacances en bord de mer. J’y retournerai quelques années plus tard et ce sera l’enfer de voir toutes ces jeunes filles sans jamais, jamais oser les approcher et ça finira par me détruire, une autre histoire aussi.

Les Saintes-Maries de la Mer, juillet – Paris, août 2019

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