Un événement oui. Un sacré hasard et je me revois trop vite treize quatorze ans plus tôt. Treize quatorze ans plus tôt, je ne riais pas. Ne savais pas faire. Ni rire ni marcher droit dans les rues au soleil sous le regard des filles et garçons en terrasse et tous plus beaux les uns que les autres alors que moi non, moi au contraire. Tu me succédais immédiatement à l’appel. Laurent B., Magali B. Même les profs que nous jugions cools sacrifiaient à ce rite imbécile. Qui me donnait pourtant le bonheur quotidien d’entendre tes nom et prénom tels un poème. Les joies de l’imparfait et ses mises à distance relatives. Treize quatorze ans plus tôt, je haïssais les week-ends et les vacances car alors je ne te voyais plus. Des journées inutiles. J’y lisais des livres, révisais les cours. Un garçon terne dans l’ensemble.
J’ai 29 ans aujourd’hui. Célibataire, pas de mouflet, CSP -.
Correspondance aux Halles du RER B à la ligne 11, 20h40, et Magali B dix mètres devant moi en compagnie d’un petit black rigolard, potelé, moustachu, ils semblent bien se connaître, s’apprécier. Ne pas s’immiscer, jouer les fâcheux. Leur laisser de l’avance. Adieu ma toute belle.
Tu m’as permis de venir à Paris. Touriste au départ, 91-92 puis le grand saut en 93 et depuis je t’ai perdue de vue. Peut-être en 94 après ma ridicule tentative de suicide. Lavage gastrique de routine, même les infirmières s’ennuyaient. Sans doute m’as tu rendu visite à l’hôpital Raymond Poincaré, ligne 360, médecine 1. Je n’en suis pas certain. Je ne voulais pas vraiment mourir tu sais.
Quand je t’aimais sans rien connaître. Ne connaissant que les livres. Par centaines.
Ici je pense à toi une fois par semestre, vaguement. Qu’est-ce que tu deviens ? Tu vis encore, c’est une bonne nouvelle. Une fille solaire et je n’en ai pas connue beaucoup ayant joué un tel rôle dans ma vie. Toi d’abord, Myriam ensuite. En 93, à Paris. Comme un passage de relais. Vous aviez tout prévu n’est-ce pas ? Planifié mon évolution sentimentale, érotique. Et toutes deux je vous ai perdues lamentable et maintenant je quitte Paris pour ne plus y revenir car j’y ai trop gaspillé. 2000 est l’année du redépart à zéro – il serait en tout cas plaisant d’y croire.
Ce qu’il faudrait raconter à ton propos. Les nombreux rêves où tu m’apparaissais et les cartes de France – comment disent-ils en anglais ? en italien ? Les nuits où nous parlions Zéro de conduite et Boris Vian. Nos parents respectifs. Bram Van Velde. Tes grandes théories sur l’amour des autres et tu les mettais en pratique. Ton étonnante résistance physique, je t’ai rattrapée d’ailleurs, même si je marque davantage. La peau surtout. Ton charme bien sûr. Là non, je reste laid. À quoi bon raconter ? Laisser se perdre mon passé mort et je ne pense/pensais plus te revoir.
Ce fut un plaisir.
Pau, septembre 2000