Je suis un obsessionnel et ça fait longtemps que ça dure et ça devrait durer encore jusqu’au cancer, jusqu’à la cirrhose, jusqu’à l’insuffisance respiratoire, ça devrait durer encore quelques années. Quand je tombe sur un auteur qui m’accroche, je lis tout ce que je peux trouver. Céline, des romans aux pamphlets sans oublier la correspondance. Selby. Brautigan, Despentes. Damasio, Kafka. Mais pas les biographies, ce que d’autres ont à raconter de leurs vies ne m’intéressent pas. Quand je tombe sur un éditeur qui me plaît, je lis tout. L’Association en 2002-2003, la Fabrique en 2015, la collection Une heure-lumière chez le Bélial ces temps-ci. Et la musique c’est pareil évidemment.
C’est l’un des très rares avantage de cet atroce instrument de surveillance qu’est devenu le web : ouvrir la page wikipedia consacrée à un artiste puis pouvoir écouter l’intégralité de son œuvre par ordre chronologique. C’était possible avant évidemment, j’ai pu au fil des années me constituer l’intégrale des Thugs, des Pixies ou de Noir désir. Mais ça coûtait autrement plus cher et puis on ratait les EP souvent, les morceaux sortis sur d’obscures compilations, on en ratait forcément. Maintenant tout est là.
Parfois c’est un morceau qui concentre tout. Un morceau que je ne parviens pas à épuiser et la complexité technique n’a rien à faire là-dedans, ça a pu être À la chaleur des missiles des Sheriff ou Sixteen again des Buzzcocks. Ces jours ci, j’écoute 30 seconds over Tokyo cinq à six fois par jour. Je ne sais pas de quoi parle cette chanson – je viens juste de lire les paroles et je ne suis pas plus avancé. Je comprends juste « No place to run, no place to hide, no turning back on a suicide ride ». Je ne connais rien de leur carrière, j’ai lu une interview de David Thomas il y a plus de vingt ans dans Les Inrockuptibles (ancienne formule, un numéro tous les deux mois et « trop de couleurs distrait le spectateur », rien à voir avec le truc actuel). Simon Reynolds en parle dans Rip it up and start again mais je n’ai rien retenu de ce bouquin. Il y a ce riff métallique et je suis super fier d’avoir appris à le jouer. Il y a cette ligne de guitare ultra menaçante, et je l’ai apprise dans la foulée. Et le bordel longuet en milieu de morceau. Pere Ubu m’épate. Surtout qu’ils sont capables à la même époque de balancer des morceaux ultra-pêchus comme Non-alignment Pact – autre morceau qui m’obsède en ce moment mais je ne sais pas le jouer encore, trop rapide pour moi.
On en discutait l’autre jour avec un couple d’italiens, comme quoi la musique n’était plus aussi importante dans nos vies. Qu’à vingt ans, on en écoutait tous les jours et qu’on connaissait par cœur les albums de PJ Harvey ou de My Bloody Valentine. Que ce n’était plus pareil. Et ce n’est pas totalement vrai. Quelques milliers de jours plus tard, malgré l’usure, la fatigue, les boulots, les factures, toutes les saloperies qui s’accumulent, il arrive encore que trois minutes de bruit sachent rendre mes jours et mes nuits plus aimables.
Paris, 22 juillet 2018.