Lorsqu’aujourd’hui on me demande d’où je viens et que je ne réponds pas par une boutade du style « aucun intérêt, ce qui m’intéresse c’est où je vais », c’est plutôt rare, lorsqu’on me demande d’où je viens donc, je cite Lou Reed et John Cale (Small town, Songs for Drella, 1990) : « Je viens d’une petite ville et quand on vient d’une petite ville, il y a une seule chose à faire, la détester et partir » (There is only one good use for a small town / You hate it and you’ll know you have to leave). Ce que j’ai fait. Ma mère y étant restée, j’y retourne une à deux fois l’an. Au retour, lorsque la banlieue se dessine, pavillons, usines et tours en ordre aléatoire, je recommence à respire et attends Austerlitz avec impatience. Et lorsqu’on me demande si je pourrais vivre ailleurs qu’à Paris, je réponds oui, bien sûr, New York, Tokyo…
La grande ville est la seule qui autorise simultanément les identités plurielles et la commune*. Je suis de mon quartier où je salue et souvent échange avec les voisins, la concierge, le boulanger, les parents d’élèves ou les bibliothéquaires. Mais je suis aussi d’Act-Up Paris 1993, de la CNT 1996, des artistes de chez Guigon en 2000, de la scène alternative actuelle, et tous ces cercles sont disjoints. Les personnes que je croise dans les squatts ne sont pas celles que je croise aux réunions de la FCPE et seules ces identités multiples autorisent une liberté minimale. En France, hors Paris, une telle liberté et pluralité de comportements ne saurait être tolérée. C’est ici que j’ai vécu mes plus grandes joies et c’est ici que j’ai plus d’une fois cru crever de faim ou de solitude mais souvent, aux heures de pointe, à piétiner dans une foule hagarde entre deux correspondances, « dans ces métros remplis de noyés » comme chantait l’autre, souvent je souris. La vie ici est plus brutale, plus contrastée. Le fric le plus débile et arrogant y côtoie la misère noire à chaque carrefour mais qu’importe, il est possible ici de se croire un peu libre, un peu vivant.
Paris m’a fait, Paris m’a tout appris et qu’importe si dans certains arrondissements, je n’ai qu’une envie : flinguer les passants et raser un à un tous les bâtiments. Qu’importe si je ne peux plus m’approcher du funérarium du Père Lachaise – trop de morts, trop de violence – ou si, les rares fois où je m’aventure en ses parages, je rêve d’une assemblée nationale en flammes, avec tous les députés, députées, assistants et antes, journalistes et autres larbins à l’intérieur. Je me fous de la tour eiffel, des palaces et des champs élysées. Mon Paris est pluriel et populaire, mon Paris fréquente les backrooms du Marais, les squatts du 20ième, les restaus chinois de Belleville, mon Paris a mauvaise haleine et les traits tirés, il est absent des guides touristiques et, si je ne suis pas parisien, je suis plutôt fier que mon fils le soit.
*Sur la commune comme projet politique, voir Comite invisible, À nos amis, La fabrique, 2014.
Paris, 6 novembre 2015