Il y a dans le minuscule milieu punk parisien actuel une course à la radicalité qui peut parfois laisser songeur. Tel groupe se fera une règle de ne donner que des concerts de soutien ou, à la rigueur, des concerts gratuits. Tel autre proposera l’intégralité de ses titres gratuitement sur bandcamp. Un troisième se fera un point d’honneur de vendre ses disques (vinyl, nécessairement vinyl) à prix coûtant. Envisager que jouer puisse rapporter plus que du plaisir est a priori suspect.
Emma Pils est peut-être le groupe qui pousse cette logique le plus loin : pas de page facebook, pas de vidéo sur youtube*, refus de jouer dans certaines salles – le groupe a débattu un moment avant de jouer à la mécanique ondulatoire, – un bar désagréable avec videur à l’entrée certes, mais un bar où la salle, les tarifs et la programmation sont corrects -, intégralité des albums en téléchargement libre sur leur propre site. Et si l’on choisit le format mp3, un pop-up nous précise gentiment que c’est un format non libre et de qualité médiocre, alors que les autres formats proposés sont libres et de meilleure qualité. Animant leur propre site, ils ont fait en sorte qu’il soit impossible de partager une chanson ou une vidéo : impossible donc de les mettre contre leur gré sur n’importe quel « viewer capitaliste à la con ». S’il était possible de ne pas être référencé par google, je suis certain que ce groupe le ferait aussitôt.
Cette radicalité peut sembler dérisoire car il n’est guère possible de tenir cette logique jusqu’au bout lorsqu’on joue de la musique amplifiée et ce n’est pas sans ironie que Maxime des Dead Boobs remerciait il y a peu à la fin d’un concert EDF et le nucléaire (Villejuif, Chêne, 7 novembre 2015)… Et pourtant, cette attitude, conjuguée à leur talent, est ce qui rend les Emma Pils indispensables. Ils pourraient être un groupe de plus, ils sont le groupe le plus précieux – avec les trop rares Enfance sauvage – du minuscule milieu punk parisien actuel.
Le morceau le plus long atteint les 2 minutes 12 mais il y a plus de rage dans trente secondes d’Emma Pils que dans l’intégrale des Clash. Les textes sont à l’image de la musique, tirés au cordeau, et il est toujours agréable de chanter « non il n’est pas trop tard / pour mettre à bas le vieux schéma / de la famille et du patriarcat » (Trop tard ? 2013) ou encore « Car la propagande par la peur ne sera jamais qu’un leurre / la vraie menace crois-moi, elle émane de l’État » (2011). Antiautorité, antipatriarcat, anticapitaliste, j’en oublie évidemment, le schéma est connu mais n’a hélas rien perdu de sa pertinence.
J’ai pourtant un problème avec Emma Pils : je n’arrive pas à les voir en concert. Ils jouent peu souvent pour les raisons déjà évoqués plus haut, et à chaque fois, qu’ils jouent au CICP, à la Comédia ou au Parvis, je suis en déplacement pour le boulot. Je ne les aurai donc jamais vu en trio et je guette les dates pour la nouvelle formation (une chanteuse vient d’arriver, et il y a eu un changement de batteur). Je parierais volontiers qu’ils joueront à l’Amsterdam quand je serai en colloque à Grenoble ou en séminaire à Toulouse…
Pour aller plus loin :
– Détruire l’ennui, 12 janvier 2014, en ligne
– Konstroy, 20 septembre 2015, en ligne
– site du groupe : emmapils.org
*Quelques vidéos, dont un concert de 2011 à la miroiterie, sont apparues depuis peu sur youtube.
Train Paris – Bar-le-Duc, 23 décembre 2015