« Encore ? Encore un texte court sur un morceau quelconque d’un obscur groupe punk qui donne max dix concerts par an et que personne ou presque ne connaît ? Il n’y a pas d’autres sujets plus importants ? Je ne sais pas, le bastion social, l’extrême-droite au Brésil, la loi anti black bloc, les morts aux frontières, la forêt de Romainville, Bure, tu as l’embarras du choix je trouve, ce n’est pas un peu facile de rabâcher sans cesse les mêmes obsessions minuscules ? l’écriture, l’alcool, les fantômes, le punk, tu tournes en rond je trouve… »
Je ne choisis pas ce que j’écris. Je prends une feuille ou l’ordi et j’aligne des phrases. Je les enchaîne, je les supprime, je les laisse reposer, j’essaye de savoir si ça tient la route et si j’ai l’impression que c’est le cas, mais je peux me tromper, ce n’est pas très grave, si j’ai l’impression que ça tient la route donc, je publie. Sinon je jette. Je contrôle à peu près mon emploi du temps et ma consommation d’alcool, c’est déjà pas mal.
Enfance sauvage donc. Il faut insister. Ce groupe a deux albums à son actif, disponibles en ligne à prix libre, Je suis un village la nuit (2015) et Nos paupières racornies, nos cheveux (2018). Ce groupe n’est sur aucun réseau social commercial mais on trouve quelques extraits de concerts sur youtube, il dispose de son propre site web et ce groupe donne trop peu de concerts. La dernière fois à Paris, ce devait être à la Générale dans un festival de bandes dessinées et il jouait après les excellents Abdullah Sheraton – une basse, une batterie, rien de plus et ça suffit, ce serait bien qu’ils aient un bandcamp par contre… – et j’avais traîné mon fils et un ami fan de reggae parce que chaque fois qu’Enfance sauvage joue, j’essaye de ramener du monde. C’est le minimum que je puisse faire pour ce groupe.
Comme d’habitude, illes n’ont pas joué mon morceau fétiche de 2015 (Je suis lucide), et pas comme d’hab’, pas de Train fantôme et pas de rappel parce qu’un DJ set était prévu après et que le concert avait pris du retard et ça devait finir à l’heure parce que c’était un festival de BD. Résultat, un set d’à peine 40 minutes avec quelques bugs techniques, genre une chanson entière où Simon hurle dans un micro non branché et déjà qu’en temps normal, on ne comprend rien aux paroles en live, là, c’était juste s’abîmer les cordes vocales pour rien. Et illes n’ont pas joué Ma jambe non plus. Je ne le prends pas personnellement mais quand même, ça fait deux morceaux sur deux albums qui me touchent au plus près et je ne peux même pas frissonner en les entendant sur scène.
Illes ne font pas dans le second degré rigolard, illes ne font pas dans le tract anarcho-autonome énervé, illes prennent plaisir à mettre en bruit leur rage et leurs craintes. Ce n’est pas un groupe où on lève le poing en braillant des slogans. L’ambiance créée est à la fois tendue et inquiétante ce qui n’empêche pas la bonne humeur. Il n’y a qu’à voir leurs tenues de scène : gros pull bariolé pour la bassiste, tee-shirt de foot pour le guitariste et des tas d’accessoires bricolés que le chanteur hurleur va piocher dans un grand sac plastique entre chaque morceau.
« – Et la chute ? C’est quoi la chute ?
– On verra au prochain concert. Ou alors je me décide à faire une interview dans les règles. Ce serait rigolo, je n’ai jamais fait. Mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas fini d’insister avec Enfance sauvage, un des trésors méconnus du punk contemporain.
– Tu exagères un peu non ?
– Non… »
Paris, 28 octobre et 1 novembre 2018