une année pile

c’était hier je me rappelle, c’était il y a un an et il m’a fallu crever l’abcès, il m’a fallu lui avouer qu’elle m’obsédait, que je ne vivais plus que pour la voir, l’entendre, être prêt d’elle, je ne vivais plus que pour elle. je n’ai pas su lui dire. je n’ai pas su exprimer ce que je ressentais. ni pourquoi il était indispensable qu’elle devienne – si tel n’était pas déjà le cas – amoureuse de moi sinon c’était fichu, sinon vivre n’avait plus la moindre importance et je n’ai rien su dire, je n’ai pas su terminer la moindre phrase intelligible, sensée ou sensible. j’ai juste été capable de bredouiller qu’elle m’attirait. c’était ridicule. aussi ridicule que lorsqu’à quinze ans j’avais appelé Magali un soir pour lui dire que je l’aimais et elle n’avait rien répondu et j’avais raccroché et j’ai eu honte pendant des mois ensuite. ridicule. juste qu’elle m’attirait mais je n’ai même pas été capable de dire qu’elle m’attirait tout le temps, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise j’avais envie d’elle et de vivre à ses côtés. et c’était encore en deça de la réalité. ce fut douloureux, j’ai pleuré pas mal. je l’ai mise mal à l’aise aussi, je le sais bien, je m’en suis voulu, je lui en ai voulu. alors j’ai pleuré un petit coup supplémentaire. pour la route. en grillant une clope. je ne sais plus si je me suis excusé. je ne pense pas et j’ai eu tort. à Paris un mois après, ça ne s’est pas franchement arrangé. nous n’avons pas été deux minutes seuls tous les deux à échanger quelques phrases, je l’ai haïe je crois, je l’ai détestée de me faire ça, de m’ignorer ainsi. je la revois encore disparaître au coin de la rue Amélie avec deux toulousains quelconques, va prendre ton train à Montparnasse connasse, je te déteste si tu savais, je te déteste et très peu de temps après, le soir même peut-être, j’ai gardé les textes, j’ai noté les dates, je me raccrochais à tous les signes, toutes les traces possibles, je documentais mon naufrage avec rigueur, exigence, j’ai noté les dates mais ne vérifierai rien aujourd’hui, refusant d’être l’historien de ma vie, le documentaliste, il faudra que je raconte un jour cet hôpital dans le 15e où je travaillais comme archiviste, c’était d’un ennui incroyable mais le simple fait d’être appelé archiviste me plaisait, me faisait tenir le coup, mais c’est une toute autre et bien plus vieille histoire. et ce soir là, le soir même peut-être, je lui envoie un mail, je t’en prie parle-moi, réagis, fais quelque chose, je t’en supplie, je ne tiendrai pas sinon, je n’y arriverai pas, ce n’est possible. et elle ne comprend rien à ce que je raconte. elle comprend de travers. elle croit que je la fais chanter ; si tu veux que je t’aide, couche avec moi. sinon va te faire foutre. et j’ai envie de l’insulter quand je lis sa réponse. comment ose-t-elle penser ça de moi ? je n’en reviens pas. on échange x messages les jours suivants. ça devient un peu plus clair je crois. j’espère. elle en aime un autre et ça fait longtemps que ça dure et jamais elle n’a imaginé quoi que ce soit avec moi, je suis plus une sorte de grand frère, ou un modèle, enfin un vieux quoi, et elle ne fantasme pas sur les vieux et je comprends, je comprends. il y a une année pile que c’est fini d’être amoureux, c’est fini de désirer ce qui n’arrivera pas, ce qui pourrait arriver, c’est fini d’imaginer que cette vie, ma vie, pourrait être plus agréable, plus riche, plus excitante qu’elle ne l’est. c’est fini de rêver. puis 130 personnes sont tuées dans Paris et il y a une année pile, je réalise que toute cette grisaille peut s’arrêter à tout moment. et ça n’aide pas. rien n’aide jamais. et il y a un an pile 130 personnes sont massacrés dans Paris et pas un seul flic n’est blessé. et place de la République le 29 novembre 2015, ces ordures se croient tout permis. et depuis ça ne s’arrange pas vraiment. il y a un an pile je cessais de fantasmer pour retomber dans le monde réel, y découvrir un État policier. et c’est bien de se frotter au réel. ça pique, ça cogne un peu mais bordel, il était temps. il y a un an pile je me suis réveillé je crois, et j’ai cessé de ne penser qu’à ma gueule, à ma queue, à ma famille. il y a un an pile le monde est venu chier dans mon salon et m’a forcé à prendre l’air et les armes et à tisser de nouveaux liens, des liens par dizaines, des liens de lutte et d’amitié, et si rien n’aide jamais, on se sera battu ensemble. ce n’est pas si mal déjà.

Paris, Issoudun, octobre-novembre 2016

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