consommation (improvisation 2) / société marchande

Le principe est le même que la dernière fois et comme la dernière fois, femme et enfant sont au cinéma pour un mauvais film encore, américain cette fois-ci, les mauvaises comédies françaises ça va bien cinq minutes mais il ne faut pas en abuser. Écrire d’une traite sur un sujet qui me poursuit depuis quelques mois ou davantage et que je n’ai jamais pris la peine de coucher sur le papier, écrire d’une traite puis retravailler la bricole autant qu’il le faudra et quand ça tient à peu près la route, balancer en ligne pour les quelques personnes que ça peut intéresser. Et dans la rubrique Fatras qui, je le rappelle, est la seule à pouvoir être qualifiée d’autobiographique sur ce blog. Il est donc normal qu’elle soit peu fournie, ma vie est une matière pauvre – je n’aime rien tant que les habitudes, et puis lire, et écrire.

On est dans un système formidable où l’identité et les valeurs qui la fondent n’ont plus guère qu’un moyen pour s’exprimer : ce que l’on choisit de consommer. Il y a les développements durables et générations futures qui achètent une fortune leurs légumes dans des AMAP bio, vive le circuit court et à bas tous les pesticides. Il y a les soucieux et euses du droit du travail chinois ou birman qui n’achètent que des vêtements éthiques. C’est formidable de pouvoir militer en consommant. C’est vrai, il faut beaucoup de fric, ça fait cher le tee-shirt quand même mais c’est important tu sais. Ça sauvera la planète et puis le travail des enfants c’est de l’esclavage. Oui je sais. Il y a une vieille chanson d’Assassin sur le sujet. Ça fait longtemps que j’écoute des artistes engagés dont chaque chanson sonne comme un tract.

Il y a les vieux punks sans crête ni chien qui plutôt que de consommer à la Fnac ou au Zénith achètent des autoprod dans des bars ou dans des squats à la sonorité douteuse, entrée prix libre. Qui ne commandent plus sur Amazon mais dans la chouette librairie indépendante d’à côté, ils ont plein de BD, de fanzines et j’y ai entendu un vieux Pere Ubu le mois dernier… Qui achètent les BD de l’Association mais pas celles de Soleil. Écoutent Radio libertaire plutôt que France Inter. Boycottent tous les grands médias d’information. La publicité. Mais pour les courses, le supermarché d’à côté c’est plus pratique quand même. Au quotidien.

Et je ne m’en sors pas avec ce texte. Il n’est pas mûr encore. Il ne tombe pas comme il faudrait. Pas assez réfléchi. Ou alors je ne parviens pas à me concentrer suffisamment. Haine brigade au casque. Solitude urbaine est un des plus beaux morceaux que je connaisse et je ne me lasse pas de cet album découvert via Nyark nyark il y a quelques semaines à peine. Mais il ne s’agissait pas d’écrire sur le punk ici, plutôt de tenter un auto-portrait en consommateur qui voudrait tant être en marge d’un système économique absurde. Et on en revient aux Bérus encore : « Paye là où on te dit te payer ». Sans oublier le tout récent statut de fonctionnaire. « Je suis l’enfant de l’État et je me bats contre ça ». J’essaye de consommer en accord avec mes valeurs – autonomie, DIY – et ça ne me satisfait pas vingt secondes, ça reste de la consommation… J’ai pendant quelques années utilisé emule puis utorrent : je n’achète plus de CD, plus de DVD, plus de livres, je télécharge et j’ai une carte de bibliothèque. Mais ce n’était pas satisfaisant. Les Casey, Programme, Emma Pils et autres Trostky Nautique doivent être soutenus. Il faut aller les voir en concert, il faut acheter leurs productions. C’est moralement juste. Enfin je crois…

Paris, 24 juillet puis août 2015

Sur un thème semblable, court texte écrit un mois plus tôt

Société marchande

Vivre en accord avec ses convictions ne signifie plus voter pour une-e quelconque ordure dont le métier est de savoir répondre avec conviction à n’importe quelle question idiote, non, voter n’a plus aucun sens et dans la formidable société de consommation où nous jouons à vivre aussi heureux que possible, sans bien maîtriser les règles et sans être souvent dupes du résultat, le seul acte militant consiste à choisir avec discernement à quel endroit consommer et quel produit acheter. Et il faut voir et entendre ensuite avec quel sérieux, avec quelle fierté l’un se félicite de ne plus acheter sur Amazon mais dans une librairie de quartier ou l’une de se procurer ses légumes bios et non calibrés dans une AMAP… Sois libre. Sois libre d’acheter où cela te plait.

Paris, 14 juin 2015

Et un très récent où la forme bouge un peu sans que le fond ne change…

Changement de programme

Je me suis construit par la lutte et la rage, la pénurie. Je suis des classes populaires. De ceux qui comptent à l’euro près. De ceux qui savent toujours combien il reste sur leur compte. Qui refusent les prélèvements et préfèrent les chèques parce que ça permet d’attendre quelques jours, de temporiser. Qui sont chez les abrutis de la Banque postale parce que longtemps ils ne prenaient pas de frais quand on avait une saisie sur salaire. Je viens de là et je hais la bourgeoisie. Ce matin, je marchais dans le 7° arrondissement et je respirais mal, je n’aimais ni les gens ni les rues ni les boutiques, ça suait l’élégance discrète et hors de prix, le sentiment de supériorité et je n’ai redressé la tête qu’en sortant du métro à Belleville. Je me suis heurté des années contre les hiérarchies, les médecins, les flics, les autorités quelles qu’elles soient. J’ai pendant quinze ans dû m’arracher la gueule pour payer loyer et factures. Et je le revendique. Et j’essaye d’expliquer au gamin que le but du jeu n’est pas le fric, la maison et la bagnole mais bien de « tenter sans force et sans armure d’atteindre l’inaccessible étoile » (Brel, La quête).

C’était avant.

Aujourd’hui je n’ai plus à lutter. Je peux payer au gré de mes désirs. Les vacances du gamin, les vinyls des groupuscules punk. La carte de soutien à Radio libertaire et au Jargon libre. Je n’arrive pas à dépenser la moitié de ce que je gagne mais c’est normal, j’ai été pauvre longtemps et mes goûts le sont restés. J’achète des fringues premier prix quand vraiment je n’ai plus rien à me mettre et du whisky médiocre pour maintenir ma dépression en laisse. J’ai un emploi à vie, un salaire plus élevé que tout ce que j’ai pu avoir auparavant, un appartement lumineux et sans cafard. Une chouette petite famille. Rien de tout ceci n’était prévu ni même désiré. Il suffirait d’en profiter, il suffirait de se laisser porter. Mais non. Tout est bien comme il faut, tout est confortable et je rêve d’émeutes…

Paris, 1 novembre 2015

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