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dépendant

Mon pneumologue est un abruti arrogant. Il faut arrêter de fumer dit-il toutes les cinq minutes. Il n’a rien de plus intéressant à proposer et ne se rend pas compte. Toute ma vie adulte, tous mes voyages, toutes mes amours et blessures sont parfumés de Marlboro 100s. Et lorsque qu’aujourd’hui je quitte le salon familial pour m’assoir sur le balcon, a-t-il la moindre idée du privilège extraordinaire qu’il y a à pouvoir s’extraire ainsi quelques minutes de la lourdeur quotidienne.

x fois j’ai arrêté. La première semaine est toujours un enfer. Je ne pense qu’à ça, j’ai faim sans cesse, envie de dormir, et dans la rue j’inspire profondément chaque fois que je croise une cigarette allumée. Puis ça va un peu mieux. Et l’ennui s’installe. Je respire et dors mieux, mes aérosols de Ventoline durent plus longtemps, j’ai plus d’argent aussi, et la vie est fade. Je tiens deux semaines ou deux mois puis retourne dans un tabac, sors mes 7 euros, ouvre le paquet soigneusement et la première cigarette est un bonheur absolu, même si la tête tourne un peu…

Je ne fais pas de sport. Je bois trop. Je fume trop. Je dors mal. Je baise de moins en moins et de moins en moins bien. Je consomme de plus en plus de médicaments et mes dents s’abîment de plus en plus vite. Ce n’est pas grave. Mieux vaut brûler que rouiller chantait l’autre. J’aime trop mes vices pour vivre sans. « Vous devez arrêter de fumer, il y a une consultation de tabacologie juste à côté vous savez, vous devriez prendre rendez-vous ». Oui, je sais, ça fait trois fois que je viens te voir et trois fois que tu me le dis. J’ai une bonne mémoire et un cerveau en état de marche et il me prend pour un demeuré. Il ne comprend pas.

Paris, septembre – octobre 2014

je bois

je bois beaucoup plus vite seul qu’accompagné
beaucoup plus souvent également
car seul je n’ai rien à prouver
aucune réputation à défendre
et puis je ne parle ni ne bafouille – je reste clair
je sais où j’en suis

seul il ne peut rien m’arriver si ce n’est vomir
je ne blesse personne
je ne heurte aucune âme sensible
seul je peux aller jusqu’au bout et vite

il est bien possible que j’aie un problème
je peux vider une bouteille de whisky au deux tiers et bosser sans accroc le lendemain et je me rappelle 1989, ma première chambre d’étudiant, Tours, et mon premier geste fut d’acheter un pack de bières, je manquais d’endurance alors… je manquais de confiance

l’alcool est peut-être un problème
la vie aussi
je noie l’une dans l’autre et n’en suis pas fier, c’est comme ça
j’ai même honte parfois
ça ne dure jamais bien longtemps

il y aurait sûrement mieux à faire
mais là
tout de suite
je ne vois pas

Paris, 23 juillet 2014 & mai 2015

nevershow

Il y a sur Choose your trap, le dernier double album des Burning heads, un morceau qui ne me décrit pas trop mal, hormis la chute qui ne convient pas tout à fait. Il est question d’une personne, un homme sans doute, même si cela n’est pas explicite, qui, lorsque ça ne va pas, ne montre ni émotion ni expression. I never let it go / Even if it hurts inside. Even if it burns inside. Je suis pareil. Quand ça va mal, j’essaye de le cacher le plus longtemps possible à ma famille et à mes proches. Il faut vraiment que le choc soit rude, comme c’est le cas depuis le 13 novembre et comme ça n’en finit pas d’être le cas – j’ai encore pleuré ce matin alors que je marchais seul en forêt – pour que je me mette à pleurer au boulot ou en faisant la vaisselle. La chute de I won’t cry est la suivante : just too proud to tell the truth. Je ne pense pas qu’il s’agisse de fierté ou d’arrogance même s’il m’arrive de me montrer fier et arrogant, seul moyen que j’ai trouvé pour compenser ma laideur. Il s’agit plutôt d’épargner les proches. De ne pas les inquiéter. Et quand le choc n’est pas trop rude, cela marche. Et ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Behonne, décembre 2015

puzzle

lorsque ça ne va pas
lorsque ça ne va vraiment pas
lorsque j’ai l’impression que ma vie est un champ de ruines
je fais des puzzles
je mets un casque
de la musique
et je trie patiemment mes 1000
2000 ou 3000 pièces
je n’ai rien à attendre
je n’ai rien à perdre
je sais que je perds mon temps
faire un puzzle est inutile
faire un puzzle n’apporte pas de réponse
il s’agit juste d’ordonner le chaos
de retrouver des formes simples
rectangulaires
lorsque ça ne va pas et que je m’effondre à tout instant
je m’assois et je cherche la pièce adéquate
puis la suivante
puis la suivante

Behonne, décembre 2015

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