La fraude réanimation (premier étage droite)

Elles parlent de leurs enfants du matin au soir et je ne dis rien. Je n’en ai pas. Leurs enfants et leurs maris. Je vis seul, je ne baise plus. La moitié des entrants sont alcooliques et elles en rigolent. Elles ne comprennent pas et jugent. Chaque soir, après le boulot, je passe à l’épicerie du coin acheter mes 2 bouteilles de 12°5, sinon je ne dors pas. Sinon je tremble ou cauchemarde. Je ne dis rien. Je ne vais pas tarder à les haïr et c’est dommage, pour une fois mon travail m’intéresse. Ce n’est pas si fréquent.

Elles parlent de leurs enfants.
Je regarde l’heure tous les quarts d’heure, entre 2 cigarettes.
J’attends.

Chaque soir à Gare du Nord dont j’ai découvert la façade le mois dernier seulement alors que j’y prends le RER à des fins professionnelles depuis trois ans déjà et chaque soir aux alentours de 20h30 les contrôleurs me collent une amende de 400 Francs pour « franchissement illicite d’une ligne de contrôle sans validation d’un titre de transport ». Ils m’envoient des lettres ensuite, et peu aimables. Il faudra bientôt déménager. L’argent du titre de transport est destiné à ma consommation d’alcool. Il faudra bientôt me faire soigner.

Je crois, j’ai peur.

« En l’absence de règlement et conformément à l’article 529-5 du code de procédure pénale, votre dossier sera remis au Procureur de la République qui prononcera à votre encontre une condamnation à payer une amende forfaitaire majorée d’un montant de 2500 FRANCS (381.12 EUROS). Les services du Trésor Public procéderont alors d’autorité au recouvrement de cette somme. »

Je ne veux plus vivre ainsi. Je ne veux pas mourir de ça. Je ne sais pas faire autre. À 23 heures je m’écroule. À 5 heures me réveille en sueur. Un cauchemar par nuit malgré les calmants associés. Je ne veux pas continuer. J’ai peur je crois. Je ne sais plus rien d’important et je saisis l’essentiel à chacun de mes pas et gestes. Quitter la ville, quitter l’hôpital. Tenter le sevrage également.

Une à deux fois par semaine, nous descendons un cadavre propre à la morgue. Je suis toujours volontaire pour promener la viande froide. Et je ne tremble pas. Je ne tremble que le matin si j’ai trop bu la veille, et le soir à la maison juste avant d’entamer une bouteille.

Il n’y aura pas de pardon.

Elles parlent de leurs enfants. Ou elles critiquent les autres équipes. Je ris et travaille et bouffe et fume avec elles et en suis correctement apprécié mais je n’ai jamais rien eu à voir avec ces gens-là. Je ne dis rien, elles parlent de leurs enfants et les journées ne finissent pas. Je regarde l’heure tous les quarts d’heure.

fraude

Paris, avril 2000.

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