Miroirs

Miroir 1

il y a cette femme aux cheveux rouges
la quarantaine
je ne lui demanderai pas son prénom
je ne l’inviterai pas à boire un verre
je ne la remercierai pas non plus et pourtant
si je supporte encore ce travail
si je passe mes après-midi à la clinique
46 francs bruts de l’heure
au bord des larmes le plus souvent
haïssant ma vie plus encore que mes collègues
c’est bien grâce à elle
à son visage à quelques mètres du mien
tous les jours à 12h35
rue Carnot
et parfois nos regards se croisent
qu’importe s’ils ne savent rien exprimer
l’habitude…

mes amis parisiens rigoleraient bien s’il savaient mais je ne leur écris pas et
ne leur téléphone pas non plus
j’ai choisi l’absence depuis un an déjà et ce serait super
si je pleurais moins souvent
si je pouvais pleurer dans ses bras

Pau, automne 2001

Miroir 2

spectateur de joie qu’ici
je suis incapable de vivre
j’étais idem 10 ans plus tôt
plus froid que moche
ce n’était pourtant pas évident
inapte à marcher dans les rues
et partout les femmes m’effrayaient
j’aurais pu ne jamais te rencontrer
j’aurais mieux fait de ne jamais te perdre

bien entendu j’ai tort
bien entendu je continue sur ma lancée
il faut savoir persévérer

je regarde autour de moi
je joue la participation
il m’arrive même de rire sauf que
le corps ne suit pas
alors je rentre chez moi
je bois de mauvais vins tout en lisant de bons livres
fume un paquet par jour
allume la télévision pour mieux m’oublier
une à deux fois la semaine un ami d’avant me téléphone mais je suis souvent trop mal pour simplement décrocher
et j’écoute le message sur le répondeur
et me retiens pour ne pas pleurer

Pau, 2001

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