Treize quatorze

Un événement oui. Un sacré hasard et je me revois trop vite treize quatorze ans plus tôt. Treize quatorze ans plus tôt, je ne riais pas. Ne savais pas faire. Ni rire ni marcher droit dans les rues au soleil sous le regard des filles et garçons en terrasse et tous plus beaux les uns que les autres alors que moi non, moi au contraire. Tu me succédais immédiatement à l’appel. Laurent B., Magali B. Même les profs que nous jugions cools sacrifiaient à ce rite imbécile. Qui me donnait pourtant le bonheur quotidien d’entendre tes nom et prénom tels un poème. Les joies de l’imparfait et ses mises à distance relatives. Treize quatorze ans plus tôt, je haïssais les week-ends et les vacances car alors je ne te voyais plus. Des journées inutiles. J’y lisais des livres, révisais les cours. Un garçon terne dans l’ensemble.
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dominé

Ça ne veut rien dire tu sais. Rien du tout. Rater sa vie, la réussir. Être à la hauteur avant que de se décevoir une fois, deux fois, mille fois. Ça ne veut rien dire. Les mots tournent. Les formules trop justes, blessantes. Je n’ai pas fait ce qu’il fallait, si j’avais su, si je pouvais recommencer et tu le sais bien, c’est un leurre. Si je pouvais recommencer, je réinventerais d’une façon ou d’une autre les mêmes erreurs. Je ne sais pas apprendre autrement. Tomber, avoir mal, recommencer. Blesser alentour. Panser ses plaies en silence et repartir dans la bataille sans le moindre espoir mais il n’y a vraiment, il n’y a vraiment rien d’autre à faire.

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Deux heures AM

Il est deux heures dans la cuisine. J’y fume une cigarette, j’y bois un verre d’eau. C’est toutes les nuits pareil. Elle dort tournée contre le mur et, lassé d’attendre, je me lève sans bruit. Me déplace sans lumière. Ça dure une heure ou dix minutes, je réfléchis. La cour est moi sommes calmes. Je pense aux amis que je n’ai pas vus depuis des mois, je ne leur ai pas non plus donné de nouvelles. Il faudrait les appeler mais demain je n’y penserai pas, demain j’aurai mieux à faire. Ce n’est pas un problème d’habiter chez elle, de vivre à ses côtés. Ce n’est pas gênant de rêver la vie des femmes qui m’ont quitté. Et ce n’est pas grave le manque de sommeil.
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abécédaire (nouvelle)

ABDIQUER

La tentation est forte et ne cesse de grandir chaque jour, chaque nuit passée sans toi, la tentation s’obstine et m’obsède, comme un rap lourd, menaçant, un refrain bancal, des rimes approximatives, les basses résonnent et il ne sert à rien de lutter, la tentation est forte et moi je ne le suis pas mais alors pas du tout et ça ne va pas en s’arrangeant, bien au contraire. Les nuits s’allongent, je ne les aime pas. Elles sont froides, tristes. Elles sentent l’inutile. Les fins de mois ou de manifestation. Les contrôleurs SNCF en période de grève. À peine si elles existent mes nuits maintenant. Et les journées pareil sauf que le soleil y brille de temps en temps et c’est toujours ça de pris. Parfois même il réchauffe. Je m’allonge torse nu sur le plancher disjoint et ne m’endors pas et ne pense pas non plus. Je reste planté là, je n’ai rien de mieux à faire. Nul part où aller vraiment. Continuer la lecture de abécédaire (nouvelle)

Brave/lâche garçon

C’est formidable, c’est génial, je peux être fier de moi, de mes actions, de mon attitude, la morale est sauve et je ne culpabiliserai pas et ne serai pas gêné la prochaine fois que je la croiserai et ne ferai pas d’erreur pour essayer de remettre ça, c’est formidable, oh oui, et je suis un lâche, je suis un gentil mari fidèle et c’est vraiment formidable. Je ne m’en lasse pas. Si on se lance pas des fleurs, qui le fera ? Continuer la lecture de Brave/lâche garçon

Auchan

Une version courte a été publié sur ce blog ici : http://devierlestrajectoires.net/jevite-aujourdhui/

La vie. La vraie. Celle des supermarchés. Celle qu’on nous a promis. La vraie vie. Tu parles. Tu n’écoutes pas. Tu as peut-être raison. Tu as peut-être tort. Ça ne change rien. Pour personne. La vie dont on se moque à défaut de pleurer. Ne pas baisser les poings face à l’ennemi. Ne pas non plus baisser la tête. Les apparences et les formules de politesse. La vie dont on a rêvé mais ça ne se passe pas comme prévu. Manger travailler dormir et de temps à autre se prétendre amoureux. Continuer la lecture de Auchan

Traité politique de l’ivresse

L’ouverture

Je ne regarde pas à demain. Février 2000. Je ne regarde pas à grand-chose. Le froid acide. Sec. La fatigue. La fatigue est mon alliée. Je ne regarde pas. À quoi ça servirait ? Le temps est une denrée précieuse, les parents me l’ont souvent répété. Je regarde quelqu’un, je ne regarde qu’elle.

La jeune fille s’endort chez moi et je ne demande rien d’autre, je suis comblé presque. L’observer dormir, toute reposée. En silence. Noter la bouche entrouverte, le corps alangui. Pure élégance et je n’ironise pas. Noter les détails. Les ombres cutanées, les plis inhabituels. Les poids se répartissent différemment en nocturne. Échappent à la banalité. Aux leçons de maintien. Apprendre son corps par cœur. Pouvoir la dessiner les yeux fermés, la peindre. Ses jambes sont superbes nues et elle n’a pas fini son verre. Whisky pamplemousse, comme moi. Recouvrir d’un blouson ses jambes. Enregistrer les images afin de plus tard s’en servir. Recycler. On ne sait jamais, on ne peut jamais savoir, et nous ne vivions qu’au présent. Garder des traces. Tout s’achevait tellement vite alors. Mais nous ne le savions pas. La regarder ému. La regarder jusqu’à ne plus rien voir. Accommoder la vision fatigue, j’ai un verre à terminer d’abord. Plus le sien. J’ai l’habitude, elle s’endort souvent avant moi. Elle se soigne davantage. Quels que soient les rêves de la jeune fille endormie je l’aime plus que ma vie et mes bières. Mes alcools divers. Mes Gauloises roulées main. Mes accès d’inutile cafard. La regarder. Ne respirer que son odeur. Je ne la toucherai pas, je la respecte trop. Parce que je l’aime sans doute. Ce verbe est trop con, je l’aime à ma façon et le reste n’a aucune importance. Et aussi je préfère les garçons. Je ne regarde pas à demain, je regarde par la fenêtre maintenant.

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N’importe quelle ville

La rue. La rue avec tous ses fantômes, avec toutes mes retrouvailles. La rue comme seul horizon, pour unique projet. La rue et ses trésors cachés. Tous les enchantements possibles, imaginables. La rue. La nuit. La rue la nuit est toujours plus belle, la chair y affleure davantage, les paroles y sont plus rares, plus vitales. La ville. N’importe quelle ville pourvu qu’elle soit européenne. N’importe quelle rue de cette ville. De hangars ou d’entrepôts, de taudis ou de luxe, blanche ou obscure, n’importe quelle rue. Une nuit parmi toutes les nuits à venir, les précédentes ne comptent pas, elles furent effacées, il n’en reste aucune trace. Nous ne sommes pas là pour le détail et revendiquons l’assassinat de l’anecdote, la destruction des particularismes. Il n’y a pas, il n’y a plus de différence entre ici et ailleurs, hier et demain, vos vies contre ma mort. Certains en doutent, d’autres contestent, ils voudraient en discuter, nous refusons de leur adresser la parole plus longtemps, ce serait la pire compromission qui soit. Et une inutile perte de temps, d’énergie. Continuer la lecture de N’importe quelle ville

Chili – Argentine – Vietnam

C’est au supermarché du coin que je m’en suis enfin rendu compte, il n’est jamais trop tard je pense, c’est mon côté optimiste dans l’âme, je tournais en rond mais vraiment depuis des mois et des mois et le temps passe bizarre, des grumeaux dans les coins, des espaces peu clairs et je finirai bien par me perdre, je finirai par ne plus pouvoir bouger, ne plus savoir quoi dire, et comment on lutte dans ces cas-là, comment il faut réagir, la tête hors de l’eau minimum, et de quoi respirer, si on agite les bras on s’enfonce plus encore, si on appelle au secours, les gens se sauvent rien vu rien entendu monsieur l’agent de toute façon c’est pas un gars de chez nous alors quoi, alors quoi faire, je n’en sais rien, je n’ai jamais rien su on dirait, rien qui puisse servir en tout cas, pas la moindre notion de l’utile, c’est mon côté pessimiste histoire d’équilibrer la balance au supermarché du coin. J’ai jeté un coup d’œil au ticket de caisse, Monoprix vous remercie de votre visite – Joyeuses Fêtes, deux cents trente balles, 09-12-1999, 16h56, j’apprécie la précision des caisses enregistreuses mais Joyeuses Fêtes ils exagèrent. 230 balles pour la semaine, raisonnable. Continuer la lecture de Chili – Argentine – Vietnam

Vocation

Entre cinq et sept ans, je pouvais répondre sans hésiter. Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? me demandaient les adultes et aussitôt je répondais conducteur de char en un large sourire. Mes parents habitaient Nomeny, un village près de Pont-à-Mousson et ce devait être l’été. Un convoi militaire a défilé toute l’après-midi au soleil, des dizaines et des dizaines de chars avançaient dans un fin nuage de poussière et de vapeurs d’essence, je les regardais assis devant la maison. Ils étaient beaux, les chars comme les militaires. Je voulais être des leurs. J’aurais aimé me lever et les suivre, me fondre dans les rangs. Ils étaient beaux, ils savaient où ils allaient et ça semblait leur plaire. Cette allure. Cette fierté. Moi aussi je voulais inspirer ça aux gens. Chaque fois que j’écoute Thiéfaine, je revis cette scène. Un des seuls souvenirs de mon enfance où je ne suis pas en train de me faire casser la gueule. Un souvenir agréable donc. Continuer la lecture de Vocation