mon noyau dur

je me connais
je me méfie
j’ai déjà connu ce genre de moments où vivre est tellement absurde qu’il m’est nécessaire pour avancer de m’investir corps et biens dans une cause, une lutte, une activité, de m’investir dans un cercle relationnel donné
j’ai fait ça x fois déjà
j’ai fait ça en 94 à Act-Up Paris, en décembre 95 avec les grèves, j’ai fait ça avec la BD indé et l’Association au début des années 2000, j’ai fait ça lorsque j’ai repris mes études et qu’au lieu d’avoir un L3 comme prévu, je me suis retrouvé en thèse puis au CNRS, j’ai fait ça lorsqu’après le 13 novembre 2015 je me suis mis à lire des dizaines d’essais politiques, radicaux, autonomes, et féministes surtout
et là je recommence
les assemblées de quartier
l’auto-organisation au niveau local
le cortège de tête et les amitiés des manifs sauvages
je me connais
je me méfie
ça peut retomber du jour au lendemain et je peux du jour au lendemain me remettre à boire et à déprimer seul dans mon coin
centré sur ma seule famille immédiate
mon noyau dur

Paris, août 2016

La sobriété 1

j’étais à Tours en septembre 1989 et c’était ma première soirée dans ma première chambre d’étudiant, 16 mètres carrés en centre-ville, ça coûtait une fortune à mes parents qui se sépareraient deux ans plus tard et je me sentais coupable et je suis sorti sur la place et me suis rendu à la supérette voisine pour acheter un pack de six kronenbourg
bouteille, 25 cl
je l’ai fini en deux ou trois jours
je ne sais plus
je ne l’ai pas noté je crois Continuer la lecture de La sobriété 1

Avant et après le 13 novembre 2015

à M., à J. – merci pour tout

Ce qui suit est une tentative visant à expliquer ce qu’a produit la nuit du 13 au 14 novembre 2015 dans ma vie et celle de mes plus ou moins proches. Il n’y a là aucune volonté d’objectivité et aucune considération morale. Il s’agit d’un bilan provisoire dans la mesure où les effets de cette nuit ne cessent de se prolonger dans les rues de ma ville, dans mes actes et dans mes désirs, mes indignations. Je ne peux évidemment être honnête sans évoquer un minimum mon entourage, ce que je cherche d’habitude à éviter. Ma femme est ma femme, mon fils est mon fils mais ils ne lisent pas mes textes donc, même si je fais attention, ça passe. Les amies sont désignées par des lettres et j’ai fait en sorte de taire tout élément permettant à des proches de les identifier – elles se reconnaîtront évidemment, mais elles sont les seules à pouvoir le faire. Et l’emploi du féminin n’est pas anodin, il n’y a qu’avec des femmes que j’ai su parler de cette nuit. Alors que normalement, parler avec des femmes, je ne sais pas faire.
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La métropole, la campagne…

Paris et sa petite couronne sont bien confortables. Où voir un concert d’Emma Pils ou des Dead Boobs ? Où participer à une manif sauvage où banques et agences immobilières sont saccagées ? Où bloquer un carrefour pour un foot’sbeul de rue ?… La métropole permet de consommer de la rébellion de façon quasi quotidienne. Mais cette rébellion amusante, hélas, ne permet pas de construire un modèle social alternatif. Nous y sommes filmé.e.s et repéré.e.s en permanence. Nous y sommes exposé.e.s aux violences sociales et policières, à la publicité en permanence. C’est beau crier Paris debout, soulève-toi ! avant d’esquiver canon à eau et lacrymos mais le lendemain, le réveil sonne, je vais au pain en automate, réveille le gamin pour l’école et l’embrasse, bonne journée mon cœur, je prends le métro, je vais bosser, et n’ose pas déchirer la moindre pub. Paris debout, tu parles. Partir ailleurs et créer les ZAD*/ZAT** partout où c’est encore possible. On en parlait avec ma femme la semaine dernière, avec S et son copain il y a deux jours, partir. Quitter la métropole. Quitter le confort pour aller construire ailleurs et autrement. Un modèle différent. Une contre société. En marge pour de bon. Le petit sera majeur dans cinq ans et là, nous aviserons.

Paris, août 2016

*ZAD : zone d’aménagement différée devenue zone à défendre
** ZAT : zone d’autonomie temporaire, concept proposé par Hakim Bey en 1991 (traduction en français en 1997, éditions de l’éclat).

chaque moment

J’ai vécu chaque moment tu sais avec une intensité incroyable, les joies, les peurs, l’agacement et je n’imaginais pas ça possible, je ne pensais pas que c’était pour moi, j’étais trop sombre trop noir trop laid, le monde était vraiment trop… trop dégueulasse et froid.

on en parlait avec celle-là il y a plus de vingt ans et nous nous imaginions avec deux enfants, une fille, un garçon, on avait les prénoms déjà et puis nous nous sommes déchirés enfin, je suis parti en saccageant tout derrière moi et après… après il y eut ce couple malade que je formais avec celle-ci et je n’ai jamais écrit là-dessus et j’évite le plus souvent d’y repenser car on a le droit de se foutre en l’air, on a le droit de survivre en zombie sans la moindre exigence, sans le moindre respect de soi-même mais pas en prétendant aimer quelqu’un.e parce qu’on ne tient plus debout seul et lorsque celle-ci est tombée enceinte, elle a avorté et j’aurais voulu qu’on le garde et celle-ci avait raison bien sûr, comme celle-ci a eu raison de partir ensuite Continuer la lecture de chaque moment

Mano Solo, la malédiction du premier album

Peut-être est-ce dû à l’âge, au contexte social et affectif du moment et ça n’a sans doute rien à voir avec la qualité intrinsèque des albums, c’est peut-être uniquement dans ma tête, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que certains artistes avec leur premier album parviennent de façon quasi miraculeuse à saisir, à capturer leur époque. Lorsque je bois des bières tard le soir avec mes jeunes collègues, ce que je fais très peu souvent en raison de mes contraintes familiales ordinaires, j’attaque sur La marmaille nue et je tente de les convaincre que, pour savoir ce qu’était la vie à Paris* au début des années 90, le premier album de Mano Solo est plus utile que l’ensemble des archives de l’époque**. Continuer la lecture de Mano Solo, la malédiction du premier album

ethos de classe

et lorsqu’au repas de l’amicale des locataires ou dans un concert ou plus généralement chaque fois que je ne suis pas dans un contexte universitaire et donc lorsqu’on me demande et toi tu fais quoi ? je réponds que ça fait un an que je suis chercheur au cnrs. je ne réponds pas chercheur au cnrs. non. et comme je dis depuis un an et que je commence à marquer, on me demande ce que j’ai fait avant et là je déroule le cv connu par cœur, aide-soignant pendant 8 ans, formateur pour adultes pendant 7, j’ai repris mes études en L3 et voilà. et je sais que c’est ridicule parce que ce n’est pas totalement vrai, ce n’est pas un beau parcours, c’est juste une anomalie. après le bac, j’ai saboté mes études les unes après les autres, ça n’a rien de glorieux. Continuer la lecture de ethos de classe

Arnaud Michniak et la fidélité

C’est difficile la fidélité, que ce soit en couple ou en musique. Je n’aime plus ce que fait Arnaud Michniak alors que je le tiens pour l’un des chanteurs les plus importants des vingt dernières années. Je télécharge ses albums sur bandcamp, je les écoute, je saute les morceaux les uns après les autres, ça ne va pas, ça ne me plaît pas, je ne les réécoute jamais mais ne parviens pas à les jeter. Lorsque je lis ses textes, ça va, je le retrouve mais cette façon de les chantonner, cet accompagnement musical anémié, c’est pénible, c’est pénible mais je garde. Je lui reste fidèle. Il est trop important, trop précieux et je dois continuer à lui faire confiance. C’est une question d’éthique. Continuer la lecture de Arnaud Michniak et la fidélité