J’ai lu sur le rock bien avant d’en écouter. Je continue aujourd’hui d’ailleurs, je peux passer une semaine entière sans écouter un album alors que j’ai lu ces dernières semaines les écrits de Steve Reich, un bouquin sur l’alternatif français, les mémoires de Johnny Rotten, la biographie de Lester Bangs, une histoire de Suicide et j’en passe.
Pere Ubu, 1975, 30 seconds over Tokyo
Je suis un obsessionnel et ça fait longtemps que ça dure et ça devrait durer encore jusqu’au cancer, jusqu’à la cirrhose, jusqu’à l’insuffisance respiratoire, ça devrait durer encore quelques années. Quand je tombe sur un auteur qui m’accroche, je lis tout ce que je peux trouver. Céline, des romans aux pamphlets sans oublier la correspondance. Selby. Brautigan, Despentes. Damasio, Kafka. Mais pas les biographies, ce que d’autres ont à raconter de leurs vies ne m’intéressent pas. Quand je tombe sur un éditeur qui me plaît, je lis tout. L’Association en 2002-2003, la Fabrique en 2015, la collection Une heure-lumière chez le Bélial ces temps-ci. Et la musique c’est pareil évidemment.
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En attente
Ils sont là, à portée de main. Lorsque je parviens à freiner un peu, lorsque je me repose sans musique et sans livre, je sais qu’ils sont là, en position d’attente. Il y a eu Adulte hôtel. J’avais pris un mois pour tout cracher puis des mois à revenir dessus, page après page. Je le portais depuis longtemps. Des années. Je ne l’ai jamais relu, je ne sais pas ce que ça vaut comme on dit, et je ne parviens pas à m’en moquer tout à fait. Un roman. Écrire un bon roman. C’est dérisoire et pourtant je ne désire plus grand chose d’autre. Composer une ou deux chansons peut-être. Reprendre sur scène 30 seconds over Tokyo…
Ah, anti, anticapitaliste
Il faudrait… et comme il y a dix ou vingt ans, chaque fois que je commence une phrase au conditionnel, j’ai envie de m’arracher l’avant-bras à coups de dents ou de me mordre un oeil mais je suis trop vieux ou fatigué ou trop les deux pour ne pas savoir que conditionnel ou futur ou présent ne change rien à l’affaire. Il faudrait, il faudra, il faut, ça reste ces petites résolutions auxquelles on s’accroche pour croire quelques secondes ou semaines que le combat n’est pas perdu. Lol. Mdr. Ptdr. Tout ce que vous voudrez. Croire qu’il est possible de changer quoi que ce soit. De modifier sa trajectoire. Prendre de bonnes résolutions n’est pas une option viable.
Nos vies contemporaines sont tout aussi routinières et normées que celles de nos arrière-arrière-grands-parents, nous avons simplement un niveau de confort matériel plus élevé – ce qui ne veut pas dire que nous vivons mieux -, un niveau de surveillance qui ne cesse de croître et une soif de consommer du divertissement sans limites et ça tombe bien, c’est exactement ce que le système actuel nous offre, c’est bien fichu. Et ça nous plaît. Ça marche. On serait dans la rue sinon. Armes à la main, visages masqués. Prêts à en découdre. On brûlerait ordinateurs et portables sinon. Banques et assurances seraient en flammes. On ferait des potagers à la place.
John Fante, Demande à la poussière
L’école question littérature, c’était l’ennemi. On nous donnait des livres à étudier, ces livres étaient morts, ils n’avaient rien à nous apprendre, ils n’avaient rien à voir avec nos vies. Je me suis cogné Madame Bovary en seconde et j’avais trouvé ça insupportable, poussiéreux. J’ai lu Madame Bovary à Pau, à 30 ans, j’étais pauvre et désespéré, isolé comme rarement, et le style m’a ébloui, je me suis enquillé tout Flaubert dans la foulée, admiratif. L’école était un obstacle. Une lecture scolaire ne pouvait pas avoir de sens. En seconde, je fantasmais sur ma prof de français pourtant. La quarantaine, brune, petite et enrobée. Elle aimait la littérature et à quinze ans je l’aimais aussi, j’aimais tout ce qui pouvait me faire oublier la vie, mais elle enseignait une littérature française devenue respectable et inoffensive parce que tombée dans les mains des enseignants. Toutes mes claques dans la gueule venaient d’ailleurs. Continuer la lecture de John Fante, Demande à la poussière
un endroit où désirer vivre
une forêt où se multiplient cabanes et barricades
troncs enlacées, pierres et barbelés parfois
tranchées…
des amies avec lesquelles je partage une heure ou dix jours de vie et que je ne cesse de croiser ensuite ou dont je n’ai plus jamais de nouvelles
vous me manquez autant que le bois
quelques traces
je n’ai plus grand chose à écrire
certes je pourrais varier le style
m’imposer des contraintes
ponctuation / vocabulaire / forme / mais non
l’écriture m’aidait lorsque j’étais seul et malheureux Continuer la lecture de quelques traces
Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu
Il n’y est pour rien, tout est question de circonstances. Des vacances comme chaque printemps un peu vides sur la côte d’azur où je tourne en rond, entre jeux en ligne et l’entretien du jardin et le fils qui dort tard tous les matins, moi je ne peux pas, moi je suis crevé et me réveille à 7 heures sans pouvoir me rendormir alors je me traîne hors de la chambre puis toute la journée, enchaînant cigarette sur cigarette, un café après l’autre. Je suis en vacances alors je ne travaille pas. Ça m’occuperait mais je ne travaille pas. Continuer la lecture de Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu
carnet de Bure, 4 (aujourd’hui, maintenant)
Dire qu’il faut écrire à l’imparfait maintenant. C’était un endroit magique le bois Lejuc. J’y ai passé quelques semaines qui comptent parmi les plus intenses de ma vie. À mal manger, à très mal dormir, à avoir peur, souvent. À m’ennuyer. À m’agacer pour rien. À ramasser du bois. À entretenir le feu et à éplucher des légumes. À me réveiller chaque nuit, j’ai cru entendre un bruit de pas, un bruit de moteur, je me redresse, au pire m’habille pour surveiller le chemin depuis vigie sud car on le sait, les gendarmes peuvent intervenir à tout moment, on se prépare au pire. C’était épuisant la vie en forêt. J’en revenais sale, lessivé et pourtant, je restais une ou deux semaines, jamais plus, j’étais un touriste. C’était crevant. Cela en valait la peine.
Se réveiller à l’aube aux Karen et voir le soleil découper la silhouette des arbres puis la brume tombe et recouvre la lisière et les sentiers. Je suis vivant comme je l’ai rarement été. C’est fini. C’est nul.
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Enfance sauvage, 2018, Ma jambe
« Je regardais ma jambe, elle pourrissait comme une pomme [..] je n’ai pas su quoi faire ». À quoi ça tient l’amour qu’on porte à un groupe ? car c’est bien d’amour qu’il s’agit. Ça faisait plus de vingt ans que je n’avais pas écouté un album le jour de sa sortie (PJ Harvey ? Noir Désir ?…) et quand Marianka, « basse saturée » selon les crédits de pochette, a envoyé un mail pour signaler la sortie de Nos paupières racornies, nos cheveux, je me suis précipité sur bandcamp et je l’ai écouté une, deux, trois fois d’affilée. Et depuis, il est plusieurs moments dans la journée où je chante Train fantôme : « c’est là que j’aime être, c’est là que j’veux être ».