C’était le troisième été que je bossais en Angleterre pour l’Unnedi. Séjour dit linguistique, ça fait plaisir aux parents. Ça les motive au moment de signer le chèque. Parler anglais est indispensable dans le monde actuel, ce genre de baratin. Les gamins, dix à dix-huit ans, étaient deux par famille d’accueil. On les récupérait le matin à neuf heures, ils retournaient chez eux à dix-sept. Il y avait des journées faciles : Londres, Brighton, Portsmouth. Là, tout était prévu, les lieux à visiter et les horaires des dites visites, les points de ralliement et de pique-nique, il n’y avait qu’à suivre le mouvement en les surveillant du coin de l’œil. Qu’ils n’aillent pas faucher des babioles ou se faire écraser. Le week-end, ils restaient en famille. Ce devait être les seuls moments où ils alignaient trois mots d’anglais. Continuer la lecture de BAFA GB
Ainsi soit-il
– C’est pas seulement nous, ce serait trop simple, c’est toute la société qui est comme ça. Et ça dure depuis des siècles et des siècles. Tous autant qu’ils sont, ils passent leur temps à mentir, et y’en a pas un pour rattraper l’autre. Suffit d’ouvrir les yeux tu sais. Suffit de regarder ce putain de monde en face. C’est peut-être pas agréable mais c’est souvent utile… Quand Vincent attaquait sur ce mode, je ne disais plus rien. J’évitais les regards aussi, il prenait ça pour des encouragements. Je connaissais son discours par cœur et moi, ça m’intéressait peu. Je n’avais pas d’opinion. Continuer la lecture de Ainsi soit-il
Anticipations
Anticipation 1
la dernière nuit en ces murs car demain je déménage et cette dernière nuit sera telle les 1056 précédentes à quelques unités près j’y dormirai seul m’endormirai tard me masturberai 2 fois au coucher 1 fois au soleil sans grand plaisir mais ça occupe
entre autres les mains
je ne rêverai pas j’y respirerai mal
réveillé en sueur
sans doute mal au crâne
avant le changement de décor mais le décor ne me changera pas je me connais
je me connais minimum Continuer la lecture de Anticipations
L’océan
C’était le 12 janvier dernier, j’ai noté la date sur mon agenda. J’y note beaucoup de choses, à l’encre noire. Rapports sexuels, rendez-vous professionnels, engueulades, restaurants, dentiste, films etc. Je les conserve depuis mes 20 ans même si ma compagne trouve ça ridicule. Il m’arrive de les feuilleter parfois. 12 janvier 2001, un vendredi. Il devait faire froid, il pleuvait sans doute et j’étais allé seul au cinéma, la nuit, elle ne voulait pas m’accompagner. Faut dire que niveau cinéma, on n’a pas exactement les mêmes goûts. Elle aime bien Rohmer, les Straub, ce genre de choses. Les films en version originale. Elle ne comprend pas quel plaisir je peux bien trouver à mes « grosses daubes ricaines » comme elle dit. Mais pour moi, le cinéma c’est ça. Continuer la lecture de L’océan
Valérie le 27 mars 2000
Je m’use les yeux à tes courbes. Les prétextes n’ont pas manqué. Mes absences non plus. Tu t’en moques et j’aimerais savoir t’imiter. Cela dure 2 à 3 semaines où chaque jour je pense à toi. Te sachant proche. Cinquante mètres à peine. Première rue droite. Premier bar sur la gauche. M’interdisant de descendre boire. Et ce soir je craque pour ne regarder que ton corps jeune. Lisse. Tu ne t’en aperçois même pas. Tu me remarques à peine, plus transparent qu’abattu. Tu joues au baby-foot.
Quand j’entre dans le bar pour la première fois depuis x temps, tu te jettes à mon cou, réjouie, « tu nous as manqué, t’étais où ? », « j’étais ailleurs », puis tu disparais, et je ne t’entends plus de la soirée.Tu es adorable et je te regarde. Avec d’autres. Avec les autres. Je suis comme eux. Je ne vaux pas plus. Vider mon verre avant de partir. Le payer aussi. Continuer la lecture de Valérie le 27 mars 2000
Conseiller clientèle
D’habitude Cathy me refilait des missions d’aide-soignant normales. J’arrive, repère les vestiaires, j’enfile blouse et sabot, me présente au poste de soins, un tour de service rapide histoire de repérer les lieux clés, poubelle, tisanerie, coin fumeur, et c’est parti, je vais laver des culs et faire des lits, surveiller une tension parfois, ou donner un cachet. La mission tranquille, je l’accomplis avec le sourire et à la fin de la journée 400 balles tombent sur mon compte, tout le monde est content. Là, elle a commencé par me poser des questions inhabituelles. Si je me débrouillais avec un ordinateur. Si j’avais l’habitude de répondre au téléphone. Si je m’y connaissais en étui pénien et en stomie. Si ceci si cela, j’ai bien sûr répondu oui à toutes les questions – je ne mentais d’ailleurs pas – et le jeudi suivant, je débarquais à la Défense, grande arche, 20ième étage. Ça me changeait de la banlieue lointaine, réveil pour 5 heures, une heure de train plus métro, une demi-heure de bus. Continuer la lecture de Conseiller clientèle
Miroirs
Miroir 1
il y a cette femme aux cheveux rouges
la quarantaine
je ne lui demanderai pas son prénom
je ne l’inviterai pas à boire un verre
je ne la remercierai pas non plus et pourtant
si je supporte encore ce travail
si je passe mes après-midi à la clinique Continuer la lecture de Miroirs
elle s’appellerait Sandrine / Saturday
Elle s’appellerait Sandrine
ce serait juste un poème
comme il en existe déjà quelques milliers d’autres
et alors ?
je n’ai rien à dire et je continue
je n’ai rien à vivre et je fais pareil Continuer la lecture de elle s’appellerait Sandrine / Saturday
Grand un
Grand un regarder le monde et se persuader tant bien que mal que nous en sommes partie prenante. Qu’importe si ce n’est qu’à moitié vrai. Qu’importe si nous préférerions vivre en marge pour de bon. Nous avons tant refusé que nous n’en sommes plus guère capables en semaine. Du lundi au vendredi, de 9h30 à 17h30. Une heure pour déjeuner.
Il y a les réflexes conditionnés. Rentrer chez soi, retirer ses pompes, ouvrir une bière, allumer la télé. Changer de chaîne, opter pour le moins insultant. Essayer un peu d’oublier.
40 et plus
Je ne sais pas garder mes amis, mes amies, mes amantes. Je ne sais pas non plus garder mes livres – j’ai acheté au moins 5 fois Last exit to Brooklyn et il manque toujours à ma bibliothèque. J’ai dû deux fois déjà revendre tous mes disques et seules les raretés sont restées en ma possession. Je garde peu, j’oublie beaucoup. C’est comme les noms de lieux, les étapes de mes voyages ou les endroits où j’ai pu bosser il y a dix ou vingt ans. Je laisse partir et passe à autre chose. Le passé m’intéresse peu.
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