Tous les articles par Laurent Baug

En attente

Ils sont là, à portée de main. Lorsque je parviens à freiner un peu, lorsque je me repose sans musique et sans livre, je sais qu’ils sont là, en position d’attente. Il y a eu Adulte hôtel. J’avais pris un mois pour tout cracher puis des mois à revenir dessus, page après page. Je le portais depuis longtemps. Des années. Je ne l’ai jamais relu, je ne sais pas ce que ça vaut comme on dit, et je ne parviens pas à m’en moquer tout à fait. Un roman. Écrire un bon roman. C’est dérisoire et pourtant je ne désire plus grand chose d’autre. Composer une ou deux chansons peut-être. Reprendre sur scène 30 seconds over Tokyo

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Ah, anti, anticapitaliste

Il faudrait… et comme il y a dix ou vingt ans, chaque fois que je commence une phrase au conditionnel, j’ai envie de m’arracher l’avant-bras à coups de dents ou de me mordre un oeil mais je suis trop vieux ou fatigué ou trop les deux pour ne pas savoir que conditionnel ou futur ou présent ne change rien à l’affaire. Il faudrait, il faudra, il faut, ça reste ces petites résolutions auxquelles on s’accroche pour croire quelques secondes ou semaines que le combat n’est pas perdu. Lol. Mdr. Ptdr. Tout ce que vous voudrez. Croire qu’il est possible de changer quoi que ce soit. De modifier sa trajectoire. Prendre de bonnes résolutions n’est pas une option viable.

Nos vies contemporaines sont tout aussi routinières et normées que celles de nos arrière-arrière-grands-parents, nous avons simplement un niveau de confort matériel plus élevé – ce qui ne veut pas dire que nous vivons mieux -, un niveau de surveillance qui ne cesse de croître et une soif de consommer du divertissement sans limites et ça tombe bien, c’est exactement ce que le système actuel nous offre, c’est bien fichu. Et ça nous plaît. Ça marche. On serait dans la rue sinon. Armes à la main, visages masqués. Prêts à en découdre. On brûlerait ordinateurs et portables sinon. Banques et assurances seraient en flammes. On ferait des potagers à la place.

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John Fante, Demande à la poussière

L’école question littérature, c’était l’ennemi. On nous donnait des livres à étudier, ces livres étaient morts, ils n’avaient rien à nous apprendre, ils n’avaient rien à voir avec nos vies. Je me suis cogné Madame Bovary en seconde et j’avais trouvé ça insupportable, poussiéreux. J’ai lu Madame Bovary à Pau, à 30 ans, j’étais pauvre et désespéré, isolé comme rarement, et le style m’a ébloui, je me suis enquillé tout Flaubert dans la foulée, admiratif. L’école était un obstacle. Une lecture scolaire ne pouvait pas avoir de sens. En seconde, je fantasmais sur ma prof de français pourtant. La quarantaine, brune, petite et enrobée. Elle aimait la littérature et à quinze ans je l’aimais aussi, j’aimais tout ce qui pouvait me faire oublier la vie, mais elle enseignait une littérature française devenue respectable et inoffensive parce que tombée dans les mains des enseignants. Toutes mes claques dans la gueule venaient d’ailleurs. Continuer la lecture de John Fante, Demande à la poussière

Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu

Il n’y est pour rien, tout est question de circonstances. Des vacances comme chaque printemps un peu vides sur la côte d’azur où je tourne en rond, entre jeux en ligne et l’entretien du jardin et le fils qui dort tard tous les matins, moi je ne peux pas, moi je suis crevé et me réveille à 7 heures sans pouvoir me rendormir alors je me traîne hors de la chambre puis toute la journée, enchaînant cigarette sur cigarette, un café après l’autre. Je suis en vacances alors je ne travaille pas. Ça m’occuperait mais je ne travaille pas. Continuer la lecture de Arnaud Michniak, 2018, L’autre jeu

carnet de Bure, 4 (aujourd’hui, maintenant)

Dire qu’il faut écrire à l’imparfait maintenant. C’était un endroit magique le bois Lejuc. J’y ai passé quelques semaines qui comptent parmi les plus intenses de ma vie. À mal manger, à très mal dormir, à avoir peur, souvent. À m’ennuyer. À m’agacer pour rien. À ramasser du bois. À entretenir le feu et à éplucher des légumes. À me réveiller chaque nuit, j’ai cru entendre un bruit de pas, un bruit de moteur, je me redresse, au pire m’habille pour surveiller le chemin depuis vigie sud car on le sait, les gendarmes peuvent intervenir à tout moment, on se prépare au pire. C’était épuisant la vie en forêt. J’en revenais sale, lessivé et pourtant, je restais une ou deux semaines, jamais plus, j’étais un touriste. C’était crevant. Cela en valait la peine.

Se réveiller à l’aube aux Karen et voir le soleil découper la silhouette des arbres puis la brume tombe et recouvre la lisière et les sentiers. Je suis vivant comme je l’ai rarement été. C’est fini. C’est nul.

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Enfance sauvage, 2018, Ma jambe

« Je regardais ma jambe, elle pourrissait comme une pomme [..] je n’ai pas su quoi faire ». À quoi ça tient l’amour qu’on porte à un groupe ? car c’est bien d’amour qu’il s’agit. Ça faisait plus de vingt ans que je n’avais pas écouté un album le jour de sa sortie (PJ Harvey ? Noir Désir ?…) et quand Marianka, « basse saturée » selon les crédits de pochette, a envoyé un mail pour signaler la sortie de Nos paupières racornies, nos cheveux, je me suis précipité sur bandcamp et je l’ai écouté une, deux, trois fois d’affilée. Et depuis, il est plusieurs moments dans la journée où je chante Train fantôme : « c’est là que j’aime être, c’est là que j’veux être ».

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en train, 2017

Les indications entre crochets visent à faciliter la lecture. Les trois points entre crochets signalent des coupures dans le texte de départ.

16/01/17, 20h30, hôtel Kyriad face à la gare, Rennes

C’est un carnet petit format (A5), couverture rigide, épaisses, et spirales, papier recyclé – le logo est à chaque page -, offert par Open éditions lorsque pour eux, j’ai évalué une revue afin d’aider à décider si oui ou non cette revue pouvait être hébergée sur revues.org. Ça fait partie de mon boulot. J’ai reçu à mon domicile les trois derniers numéros imprimés, un stylo bille bleu, et ce carnet. Il comprend entre 60 et 70 pages. Je n’ai pas compté, ce n’est pas indiqué. C’est un carnet, c’est une contrainte. À chacun de mes déplacements professionnels, l’avoir sous la main et brique après brique, le remplir. S’obliger chaque fois à noter ne serait-ce qu’une ou deux lignes. Ce n’est pas un journal. C’est un carnet de notes en mouvement. Continuer la lecture de en train, 2017